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nous ne méconnaissons pas les dispositions amicales, néglige deux points qui sont d’importance : le premier est qu’en Orient c’est l’Angleterre qui, dès 1918, nous a abandonnés pour faire une politique arabo-turque d’abord, gréco-arabe ensuite, avec une pointe dirigée contre les intérêts français ; le second, c’est que la presque unanimité des Français sont convaincus que l’Angleterre ne nous a pas soutenus vis à vis de l’Allemagne comme nous nous croyions en droit de l’être. Cela dit pour le passé, il reste, pour l’avenir, que l’Angleterre a besoin de nous en Orient, comme nous d’elle en Occident. Il n’est que de s’entendre. Faut-il répéter que la politique est l’art des justes réciprocités ?

La Société des nations sera vraisemblablement appelée à assurer la liberté des Détroits. C’est la conséquence de l’heureux et brillant succès de la troisième assemblée générale qui a poursuivi ses travaux du 4 au 30 septembre. Cette session a manifesté la vitalité et confirmé l’efficacité bienfaisante de la Société des nations ; sa personnalité collective s’affirme, son âme se définit ; elle prend conscience de sa mission et précise ses méthodes. Du rapprochement de tant de personnalités distinguées ou éminentes, hommes d’État, diplomates expérimentés, techniciens éprouvés, juristes de haute conscience, se dégage une ambiance d’idéalisme élevé, de sereine fraternité, sans fausse idéologie, sans humanitarisme vague. A mesure qu’elle vit et travaille, l’autorité de la Société s’établit au-dessus de tout scepticisme ; on peut encore l’amender, on ne pourrait plus ni la supprimer, ni l’ignorer. Est-ce à dire que les passions politiques s’y émoussent et que les intérêts particuliers s’y évanouissent ? Certes non. Les débats en apparence les plus techniques ont toujours un aspect politique ; les controverses les plus juridiques sont semées de pièges politiques.

Aussi convient-il de ne confier le soin de représenter la France dans cette amphictyonie des nations qu’à des hommes d’État d’expérience éprouvée et de haute culture. Là de plus en plus, s’élaborera la grande politique, se réalisera la politique nouvelle. La France bénéficiait, cette année, d’une représentation particulièrement solide et brillante ; elle avait à sa tête M. Léon Bourgeois dont l’autorité est sans seconde, puisque c’est celle d’un initiateur, d’un fondateur, d’un directeur de conscience ; M. Gabriel Hanotaux, auquel son expérience politique, sa culture universelle, en même temps que sa cordialité rayonnante, assurent une influence d’autant plus pénétrante qu’elle ne cherche pas à s’imposer ; M. Henry de Jouvenel, qui allait