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Ironie du destin... Après tant de bouleversements, après avoir vu passer des héros formidables, Durazzo voit désormais son nom attaché au nom du dernier venu, qui n’avait rien d’un héros, la figure falote du prince de Wied dont la médiocre aventure devait avoir pour l’Albanie des conséquences tragiques.

Sans doute, des fenêtres de son palais, contemplait-il chaque jour cette rive étroite où l’on installe aujourd’hui un jardin public, des arbres grêles qui ont de la peine à s’enraciner. En face de la sérénité radieuse de cette baie, il ne songeait qu’à l’évasion possible... au cas où il n’arriverait point à transplanter dans son royaume les coutumes de sa principauté allemande.

Il n’a pas essayé d’imposer la souveraineté de l’Albanie reconnue par six Puissances. Chance désormais perdue... Il ne tâcha point de gagner la confiance de ce peuple dont le loyalisme est cependant un des traits essentiels. Il demeura défiant, distant, inquiet toujours.

— Non, il n’a pas compris... , disait amèrement un bey qui vécut à la cour du « mbret. » Il avait de bonnes intentions cependant... !

Il n’a pas su s’avancer au cœur du pays entouré d’une brillante escorte de cavaliers, selon la coutume des valis. Un bateau l’a mené jusqu’à Valona. Et il s’est contenté de se rendre à Tirana... en automobile, avec la Reine et les dames d’honneur en grand décolleté.

Le peuple, habitué à la tenue sévère des musulmanes, les prenait pour des chanteuses...

Il y eut à la préfecture de Tirana une réception solennelle et la présentation des chefs albanais. Les dames allemandes riaient de leur costume et faisaient entre elles des signes et des grimaces de moquerie ; le Roi fumait et ne s’apercevait pas de cette inconvenance, qui froissait gravement tous ces hommes silencieux.

Il s’entoura d’étrangers qui le conseillaient mal et tournaient en ridicule les mœurs du pays. L’un d’eux traita les seigneurs albanais de bachi-bouzoucks dans des vers qu’on répéta à voix trop haute.

— Tout cela faisait mauvais effet, soupire le narrateur. Un jour, la Reine, que j’accompagnais dans une promenade sur les