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précipiter sur ces monstres, que j’aurais voulu écraser comme des chiens enragés, comme de dangereux reptiles.

Il y avait parmi les détenus, trois bolchévistes-communistes affiliés à la « Tché-Ka, » placés évidemment là pour nous espionner. Je tâche de me souvenir de leurs noms : Boldenko, Fisher... le troisième nom m’échappe. Ils étaient souvent assis dans la cour, avec deux prostituées de leurs amies, lorsqu’on venait chercher les condamnés à mort... riant, chantant et tenant exprès des propos cyniques... pendant que les malheureuses victimes passaient devant eux, allant à la mort.

Depuis que j’avais appris ma condamnation, je ne m’endormais jamais avant minuit, m’attendant à voir paraître le « commissaire de la mort, » qui devait venir me chercher. Deux semaines s’écoulèrent dans cette agréable attente. Mes compagnons me témoignaient une immense sympathie. Parmi les femmes, il en était qui, pour me prouver son intérêt, s’approchait parfois de moi, en me disant :

— Pauvre princesse ! On dit que vous allez être emmenée cette nuit !

L’intention était excellente, mais il est évident qu’une pitié et un encouragement de ce genre n’étaient pas faits pour me calmer.

J’étais couchée, un soir, prêtant l’oreille à chaque bruit qui venait interrompre le silence de la nuit. Il faisait tellement étouffant dans la chambre que je ne pouvais pas respirer. Je me levai et m’approchai de la fenêtre La nuit était divine, une de ces nuits chaudes et étoilées de l’Ukraine ; le tilleul, sous nos fenêtres, était en pleine floraison ; ce parfum, subtil et familier, faisait surgir en moi une série de tableaux et de souvenirs. Comment comprendre que sur cette terre, au milieu de cette nature si pleine de beauté et de grandeur, il existât des hommes qui faisaient tant de mal !

Mon attention fut attirée soudain par un son de voix sous la fenêtre ; les trois communistes dont j’ai parlé plus haut étaient assis sur un banc, et causaient avec un des prisonniers, accoudé à la fenêtre de la chambre voisine. Je l’entendis qui leur demandait :

— Est-il vrai que la princesse Kourakine va être fusillée ? Elle n’a cependant rien fait contre les Soviets ?