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— Nous savons bien qu’il n’y a rien contre elle, répondit un de ces trois misérables, mais, voyez-vous, la Terreur rouge vient d’être déclarée ; ce qui fait la force de cette Terreur, c’est précisément que certaines personnes sont exécutées, innocentes de tout crime, mais qui sont connues pour leur richesse et la haute position qu’elles occupent. L’exécution de la princesse Kourakine ne manquera pas de produire une grande sensation à Kiev.

Mes lecteurs comprendront sans peine quelles étaient mes impressions en écoutant cette conversation ! Il y avait une jeune femme très sympathique parmi les détenus dans la chambre où je me trouvais, fille de prêtre, qui s’efforçait de « flirter » avec les « Tchékisty, » espérant ainsi hâter le terme de sa libération. Un jour que le « commissaire de la mort, » Térékhoff, l’avait fait venir dans son cabinet, elle me raconta, à son retour, qu’il avait tâché d’obtenir d’elle des informations concernant les détenus ; quand il en vint à parler de moi, elle lui demanda s’il était vrai que j’allais être fusillée.

Térékhoff se mit à rire de son rire effronté :

— Je ne sais pas, répondit-il : je n’ai pas encore décidé si je la fusillerais ou si j’en ferais ma maîtresse.

Quelle torture d’entendre des abominations pareilles, et de ne pouvoir me venger de ce misérable !

Cependant la « Terreur rouge » augmentait de jour en jour. Les nouvelles de l’armée de Denikine étaient excellentes, et les bolchévistes sévissaient avec une violence toujours croissante... De nouvelles victimes étaient arrêtées et amenées tous les jours à la « Vé-Tché-Ka, » et plusieurs personnes étaient emmenées pour être fusillées toutes les nuits. J’étais sous l’impression horrible de trois officiers auxquels les bolchévistes faisaient subir d’affreuses tortures. On les avait emmenés la nuit, en leur disant qu’ils allaient être fusillés. Une fois arrivés à la cave où se passaient les exécutions, il se trouva que les fusils de leurs bourreaux étaient chargés de cartouches blanches. Ces infortunés furent soumis, après cela, à des tortures inhumaines : leurs épaules furent disloquées et cassées, etc. Je fus heureuse de les revoir en vie le lendemain, mais horrifiée d’apprendre tout ce qu’ils avaient eu à souffrir. Ceci se répéta trois nuits de suite : les gardes les emmenaient le soir en leur déclarant qu’ils allaient être fusillés, mais on leur faisait seulement subir des