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Ce qu’est le fascisme et ce qu’il représente dans l’Italie d’après la Grande Guerre, la chronique du 15 août et les articles si vivants de M. Paul Hazard l’ont appris aux lecteurs de la Revue. Il reste à leur expliquer comment le chef de l’insurrection fasciste est devenu le président du Conseil des ministres. La seconde jeunesse du cabinet Facta avait été éphémère ; ses jours étaient comptés ; on savait que la présence de M. Facta au ministère préparait le retour du grand prestidigitateur, M. Giolitti ; lorsque la combinaison fut prête dans la coulisse entre M. Giolitti, M. Orlando, le comte Sforza, on vit M. Facta s’effacer discrètement et donner sa démission (26 octobre). M. Giolitti avait bien dit que le fascisme et son chef étaient des forces avec lesquelles il faudrait compter ; on les apaiserait donc avec quelques portefeuilles. Mais au congrès de Naples, le fascisme avait montré sa force ; M. Mussolini avait dit : « ou bien on nous donnera le Gouvernement, ou bien nous le prendrons par la force ; » il sentait le moment venu de jouer le tout pour le tout. Le directoire fasciste lança un ordre de mobilisation ; ses légions, par toutes les routes, se dirigèrent vers Rome ; là on proclamerait la République et le pouvoir serait exercé par une sorte de triumvirat où M. Mussolini tiendrait le rôle d’un premier Consul avec, dit-on, comme partenaires, le duc d’Aoste et M. Gabriele d’Annunzio. Mais il déplaisait sans doute à l’illustre écrivain, après avoir été le premier dans Fiume, de n’être que le second dans Rome ; il déclara rester fidèle à la dynastie et décliner toute participation au mouvement. M. Facta, dans un tardif sursaut d’énergie, voulut opposer la force à la force ; le 28, dans la matinée, après un long entretien avec le Roi, il faisait annoncer l’établissement de l’état de siège dans tout le royaume : c’était la guerre civile.

Le Roi reçut de bons avis : les fascistes étaient les plus forts, il n’était pas certain que l’armée tirerait sur les « Chemises noires, » la dynastie s’effondrerait dans le sang si elle déchaînait une résistance dont le succès était plus que douteux. Le général Diaz conseilla de céder au vœu populaire. Le décret sur l’état de siège ne fut pas promulgué. Le roi décida de charger M. Mussolini de constituer un ministère : ainsi la force l’emporte, l’émeute triomphe, le Roi sanctionne. Son intervention est d’une importance capitale ; il donne, au moment décisif, le coup de barre ; il pilote résolument la barque de la dynastie sur le courant qu’il croit représenter la volonté nationale. L’avenir dira s’il a été bien inspiré ; mais il est certain qu’il a usé avec résolution de la prérogative royale, même à