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l’encontre de la lettre constitutionnelle ; son intervention légalise, en quelque mesure, ce que cette prise d’assaut du pouvoir par M. Mussolini et ses bandes armées a de dangereusement révolutionnaire.

Investi par le Roi, M. Mussolini arrive à Rome et constitue le même jour, 30 octobre, son ministère ; mais il n’en saurait trouver les éléments dans le petit groupe fasciste de la Chambre qui ne compte que vingt-cinq membres ; il s’adresse d’abord, comme cautions vis-à-vis de l’opinion publique et de l’étranger, aux anciens commandants en chef de l’armée et de la flotte pendant la guerre, le général Diaz, le vainqueur de Vittorio Veneto, et l’amiral Thaon di Revel, qui acceptent les portefeuilles de la Guerre et de la Marine ; puis il négocie avec les partis : les populaires reçoivent deux ministères, Trésor et Travail, et quatre sous-secrétariats d’Etat et obtiennent certaines garanties, notamment pour le vote de la liberté d’enseignement. Un nationaliste, M. Federzoni, accepte le ministère des Colonies ; trois démocrates et un libéral complètent, avec quatre ministres du groupe fasciste et le professeur Gentile, qui n’appartient pas au Parlement, le ministère Mussolini. Le cabinet, tel qu’il est constitué, fait figure de gouvernement parlementaire et fonctionne comme tel ; les partis ont compris que le meilleur moyen de rétablir la paix intérieure en Italie et. de rendre inoffensif le fascisme était d’accepter le fait accompli et d’enlacer la dictature dans les mille liens des traditions parlementaires et des intrigues de groupes. Mais, en réalité, le gouvernement de M. Mussolini est bien une dictature, puisque lui seul a les moyens de briser toute résistance ; la Chambre, qui va sanctionner ses actes, n’a pas, en fait, la liberté de le renverser ; l’homme qui peut, d’un signe, appeler à Rome des milliers d’hommes armés, est au-dessus des votes du Parlement ; l’homme qui peut mobiliser une armée contre l’armée est au-dessus des lois.

Mais la violence passe et les lois demeurent. Les premiers actes de M. Mussolini sont rassurants et dénotent un sentiment juste des nécessités de l’heure et des aspirations du pays. Nous déplorons la mésaventure du comte Sforza et nous espérons que le Gouvernement nouveau le renverra à Paris ; mais son geste un peu précipité de démission a été pour M. Mussolini l’occasion de rappeler, en un langage très ferme, que les fonctionnaires, si haut placés soient-ils, sont les serviteurs de l’État et de la Nation, et qu’ils doivent s’abstenir de tout acte susceptible de créer des embarras au Gouvernement. Après le grand défilé triomphal des légions fascistes dans Rome, M. Mussolini n’a pas eu de souci plus pressant que de