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toujours refusée ; mourante enfin, non d’aucune maladie, mais d’ennui et de chagrin, elle fit demander de Caen où elle était alors la permission de venir mourir à Paris. » On meurt à Caen comme ailleurs, » répondit-il. Elle y est morte en effet, après deux ou trois ans d’exil ; tous les médecins lui niaient son mal ; son mari avec lequel on l’avait brouillée voulut venir la voir, elle ne voulut jamais y consentir. Sa belle-mère l’accompagnait partout, elle l’aimait avec passion. Quand elle mourut, Mme de Luynes revint à Paris, les enfants, toute la maison prit le deuil et le nom de Mme de Chevreuse ne fut pas prononcé ; jamais on n’en parle.


Mme de Broglie [1] a 24 ans ; c’est une des personnes qui ont eu le plus de mode ; pendant deux ou trois ans, on la citait avec Mme de Barante comme la plus belle personne de Paris.


Lettre du peintre Gérard à Mme Récamier. (9 août 1819.)

« Vous avez peut-être oublié que je devais avoir l’honneur de vous voir avant-hier. J’allais partir lorsqu’une de ces malheureuses attaques qui me tourmentent depuis plus de deux mois, m’a forcé de rester chez moi. Je venais de dîner, il a fallu attendre pour me jeter dans le bain. Enfin, je suis mieux aujourd’hui et plus impatient que jamais de me mettre en route. C’est, je vous jure, une triste situation que de ne pouvoir travailler et d’être obligé de désirer l’instant qui doit me séparer de tout ce qui m’est cher. Je trouverai toutes ces peines un peu plus supportables, si vous daignez me conserver quelque souvenir. Ce ne serait qu’une chose équitable de votre part, j’ose le dire ; mais l’amitié n’est point représentée avec des balances. »

Cette lettre de Gérard était écrite pendant l’Exposition de la Galatée de Girodet. Ce tableau avait eu un moment un succès de parti, et de sots journalistes avaient osé dire que Gérard était premier peintre du Roi et Girodet le premier peintre du siècle Malgré la conscience de son beau talent, malgré tout son esprit, Gérard avait attaché de l’importance à ces impertinentes critiques, et il se figurait qu’il y avait une cabale, une conspiration montée contre lui ; il n’osait plus sortir ; sa santé s’était altérée,

  1. Albertine de Staël, née à Coppet en 1797, avait épousé à Pise, en février 1816, le duc Victor de Broglie qui fut plus tard ministre de Louis Philippe.