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symphonie de couleurs, où se fondent le vert des melons d’eau, le jaune des citrons, le rouge des tomates, des piments, des pastèques entr’ouvertes ; et l’or des maïs ; et les figues d’Inde vineuses ; et les aubergines violettes : ravissement des yeux.

Sortons. Le pittoresque a son charme : mais l’air pur a son mérite. On éprouve une sympathie véritable pour les rues modernes, fussent-elles rectilignes, quand on échappe à cette cour des miracles. Il fait bon respirer librement... Mais voici qu’un groupe se. forme au milieu de la place que nous traversons : vite, allons voir, badauds qu’un attroupement n’a jamais laissés insensibles. Ceci encore vient d’un passé lointain. C’est un cantastorie, un chanteur d’histoires : ce descendant des vieux conteurs, qui ne soupçonne ni l’antiquité ni la noblesse de sa race, est en train d’exposer au public les péripéties d’un crime qui vient d’être commis dans les environs de Naples, et qui déjà passe à l’épopée. Lorsqu’il a fini sa narration, il chante, avec accompagnement d’orgue de barbarie, et nous enseigne à bien dire le refrain :


Avite letto ’o fatto dint’ ‘o giurnale
C’anno commesso sti’n fame assassini :
Hanno occiso o marite cumm’ e’ cane,
Pure’ a mugliera hanno tentato ‘a vita.
Chistu brutto delitto
Che loro hanno cummesso,
Papule ‘a força ‘e desse
Le faciarria muri [1].


Il a déployé une grande toile, que le vent vient enfler comme la voile d’un navire ; et sur la toile sont peintes, — tels les tableaux des primitifs qui voulaient fixer toutes ensemble les péripéties successives d’une même action, — et la scène de l’assassinat, et celle de l’arrestation du coupable, et celle du châtiment. Vaut-il la peine de dire que l’histoire est morale, et qu’elle montre le crime puni, à la fin ? Ainsi quelques gamins de Naples, au teint mat, à l’œil vif ; des amateurs de belles histoires, qui portent avec une élégance suprême vestes trouées et chapeaux de paille défraîchis ; cinq femmes sensibles ; et moi-même,

  1. « Vous l’avez lu dans les journaux, — le crime qu’ont commis ces infâmes assassins, — ils ont tué le mari comme un chien, — et la femme, aussi ils ont attenté à sa vie. — Ce crime affreux, — que ces gens-là ont commis, — il faudrait que le peuple les pende, — et qu’il les fasse mourir. »