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tout le sens s’en trouve altéré. Il est dit dans ma lettre : «... tu sais que je ne t’aurais jamais recommandé un homme indigne. » Ne trouvez-vous pas que le sens est tout différent ?

Krylenko avait l’air penaud. Il passa à d’autres questions.

Moi, je triomphais ; j’étais résolue à ne plus rien ménager ; je jouais le tout pour le tout.

— Savez-vous où est votre fils ?

— Je n’en ai pas la moindre idée.

— Tenez-vous pour fausses les accusations qui pèsent sur lui ?

— Oui et non. Il est fort probable qu’il a fui le paradis socialiste, car je n’ai aucunes nouvelles de lui. Quant à l’insinuation qu’il a plus de seize ans, et qu’on a abaissé son âge, afin de donner à la « Commission des jeunes criminels » la possibilité de le libérer, cela est entièrement faux. Il est dit dans l’acte d’accusation : André Kourakine, supposé être âgé de seize ans. Renseignez-vous au lieu de sa naissance. Il m’est bien impossible de vous montrer nos papiers, puisque la « Vé-Tché-Ka » de Kiev nous les a pris. Quelque dame communiste s’est sans doute emparée de mon passeport, et se fera passer pour la princesse Kourakine. Mais je n’en ai cure. Si vous avez votre « Internationale » prolétaire, nous avons une « Internationale ». de la noblesse, où chacune des princesses Kourakine est connue : il n’y en a que quatre dans le monde entier.

Je m’amusais... Ce qui n’empêchait pas que mon cœur battit à coups précipités : je fumais cigarettes sur cigarettes... Krylenko continuait :

— Vous rendez-vous compte, maintenant, que vous avez commis un crime à l’égard des Soviets en recommandant un officier à Wrangel, surtout un officier au service des Soviets ?

— Et vous, se peut-il, que vous ne compreniez pas le véritable motif de mon action, qui n’était ni d’agir contre le Gouvernement des Soviets, ni de fournir d’officiers l’armée blanche, mais uniquement d’acquitter une dette de reconnaissance maternelle. C’est si simple qu’un enfant nouveau-né le comprendrait, — et vous avez des cheveux gris !

L’effort de Krylenko tendait à établir un rapport entre mon action et quelque affaire de complot contre-révolutionnaire, comme l’affaire de Samarine, par exemple, dont on parlait beaucoup à cette époque. Il tâchait de me troubler et de m’embrouiller, mais mon cas était si clair, et je me souciais si peu