— Dieu soit loué, répondis-je, il ne portait pas de veste en cuir, ni de chemise boutonnée de côté !
— Quelle est votre parenté avec Wrangel ?
Je lui expliquai que nos pères étaient frères.
— Vous êtes donc née Wrangel ?
— Oui.
— Et vous portiez le titre de baronne !
— Oui.
Krylenko goguenarda, tourné vers le public :
— C’est admirable ! Elles ne peuvent se passer de titres. Elles naissent avec un titre et elles épousent des hommes titrés. C’est vraiment admirable !
Je n’y tins plus. Je me levai soudain et lui lançai au visage :
— Et ma grand mère avait un titre, et mon arrière grand mère de même !
Le public riait de bon cœur. Krylenko fronça le sourcil et changea de sujet.
— Avez-vous des relations dans l’armée blanche ?
— Quelle question ! Tous mes parents, tous mes amis sont dans l’armée blanche. Aucun d’entre eux n’admet la possibilité de servir les Soviets.
— Pouvez-vous me donner quelques noms ?
— Certainement...
Et je me mis à énumérer d’un seul trait tous les noms de l’Almanach de Gotha russe : les Galitzine, les Dolgorouky, les Shérémétieff, les Vorontzoff, les Gagarine, les Shouvaloff, les Viazemsky, les Bobrinsky, les Shakhovskoy, les Kotchoubey...
— Assez, assez, interrompit Krylenko. Et, sans doute, ce n’est pas la première fois que vous recommandez des officiers à Wrangel ?
— Je ne l’ai jamais fait jusqu’à présent.
— Pardon, vous dites dans votre lettre à Wrangel (il ouvrit ma lettre et se mit à lire) : « Mon cher Piper ; tu sais que je ne t’ai jamais recommandé un homme indigne... » Qu’avez-vous à répondre, accusée ?
— Ce que j’ai à répondre, c’est que tous ces messieurs, — je montrai du geste les juges, le secrétaire, le procureur, tous représentants typiques de la race juive, — ne savent pas lire le russe. Je vous prie de relire attentivement ma lettre (je la savais par cœur), vous n’y avez changé qu’un seul mot, mais