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mais véritablement eau-de-vie, joie et réconfort de l’être, qui avive le teint, éclaire l’œil, réchauffe le sang et le stimule sans les charger ni les allumer. Mon père, âgé, l’appelait l’arrière-garde... Je le vois encore dégustant son petit verre quotidien, un armagnac centenaire, aussi dépouillé que possible, qui rayonnait dans le cristal de cette lumière ambrée qui n’est qu’à lui, et embaumait la pièce d’une odeur de prune cuite. Il relevait au bout de ses doigts, de sa main pâle, fine, dont il était fier, le faisait osciller pour contempler sa lueur blonde, le humait, le goûtait, et posait le verre, en célébrant pour la millième fois son excellence. Aussi bien pour l’esprit que pour la chair. De même, en effet, que le vin verse à l’âme française son vibrant, l’eau-de-vie, qui en est l’essence, emplit le cœur gascon d’un frémissement singulier, héroïque et subtil. Et certes, lorsqu’il détacha du râtelier son cadédis, son maigre cheval nourri d’herbes de lande, et marcha sur Paris, d’Artagnan avait lampé un grand petit verre, un coup de l’étrier pour l’immortalité... C’est pourquoi, jaloux et orgueilleux de notre liqueur, nous restons attentifs à l’origine du cep qui l’engendre, comme à la qualité de l’alambic qui le distille et à la pureté du chêne qui l’enferme. Concordance de toutes choses par quoi se compose et s’affine sa saveur insigne.

Mais, je l’ai dit, notre vigne est toujours menacée. On le sait, les vieux plants autochtones, purs de souche, ont péri. Le vignoble français est reconstitué aujourd’hui soit en racinés-greffés, soit en hybrides. Le problème de sa renaissance date de plus d’un demi-siècle. Il s’est présenté sous un aspect double et successif : la phase phylloxérique, la phase cryptogamique. D’où, chaque fois, une crise qui faillit être mortelle, qui manqua de ruiner tout entière et sans retour la génération qui la subit. En Armagnac, en particulier, ces crises prirent figure de fléaux. La seconde, la cryptogamique, servie par notre sol argileux qui garde l’eau, qui émet des buées et des sueurs longtemps après la pluie, fit songer aux plaies bibliques. On dit que nous aimons l’image, et non sans exagération. Cette fois, l’image le céda de loin à la réalité. Et on ne vit point de verge miraculeuse pour guérir ou ressusciter, après avoir frappé : il y a toujours la bête, il y a toujours le champignon.

On a tout de suite lutté. Dès l’apparition du phylloxéra, ses ravages constatés, les savants se mirent à l’étude. Ils observèrent