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Après cette délibération chez l’Empereur, on aurait pu croire que l’opinion du ministre des Affaires étrangères avait prévalu définitivement et que les influences irresponsables étaient écartées à jamais des affaires d’Extrême-Orient. Mais, trois jours plus tard, Bézobrazoff et ses affidés l’emportaient de nouveau. Alors, découragé, se reconnaissant incapable de conjurer les malheurs qu’il prévoyait, le comte Lamsdorff supplia encore l’Empereur de lui retirer ses fonctions.

— Comment pouvez-vous m’adresser une pareille requête en ce moment ?... Vous savez bien que vous avez ma confiance, que je vous communique tout, que je ne vous cache rien. Continuez donc vos fonctions.

C’est sous ces auspices inquiétants que s’acheva l’année 1903.


Avant d’aborder l’année 1904, je dois parler du rôle que s’était assigné l’empereur Guillaume. Pour le bien comprendre, il faut revenir un peu en arrière.

Depuis longtemps, le Kaiser cherchait à nous éloigner de la Péninsule balkanique, en nous poussant vers l’Extrême-Orient. S’il réussissait dans cette tâche, les projets séculaires de pénétration allemande dans le monde slave seraient enfin réalisés. Ce plan avait pris toute son ampleur depuis qu’on avait conçu à Berlin l’idée d’un grand chemin de fer qui relierait Hambourg au Golfe Persique, en passant par les pays slaves des Balkans. C’est d’alors que datent toutes les platitudes que Guillaume a commencé à faire vis-à-vis du sultan Abdul-Hamid et de tout le monde musulman. C’est aussi alors qu’il forma le projet d’attirer vers l’Allemagne les sympathies des Bulgares, en les excitant, à l’aide de Ferdinand de Cobourg, contre leur libératrice. Les bonnes dispositions de la Bulgarie étaient une nécessité pour l’Allemagne, car c’était le seul pays entre Berlin et Bagdad qui ne fût pas encore acquis aux idées allemandes. Sur la Roumanie, Berlin pouvait compter entièrement, le roi Charles ayant été, jusqu’à la fin de. ses jours, un fidèle serviteur des Hohenzollern. L’alliée de l’Allemagne, — l’Autriche-Hongrie, — trouvait aussi son compte dans la politique allemande des Balkans, et même à deux points de vue : d’un côté, avec ses sympathies germaniques, elle était heureuse de contribuer à transformer les populations slaves en « fumier nécessaire pour