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la haute culture allemande [1], » comme se plaisaient à s’exprimer couramment les historiens allemands, en parlant du rôle dominateur que l’Allemagne était, soi-disant, appelée à jouer sur la terre ; de l’autre côté. l’Autriche espérait de cette façon obtenir plus facilement l’accès à la Mer Egée qu’elle convoitait depuis longtemps.

L’énergie de l’empereur Guillaume ne savait pas s’arrêter à mi-chemin. Il profitait de toute occasion pour accaparer les sympathies du Tsar, en touchant les cordes sensibles de son caractère et en endormant ses susceptibilités. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait réussir à le pousser vers des actes, à éloigner à tout prix la Russie de l’Europe, en l’embourbant dans les affaires de l’Extrême-Orient. C’est dans ce dessein que l’empereur Guillaume nous a encouragés à construire la grande voie transsibérienne et qu’il affublait dans sa correspondance personnelle l’empereur Nicolas du surnom de l’Amiral du Pacifique, tandis qu’il se décernait à soi-même celui de l’Amiral de l’Atlantique. C’est également dans cette intention qu’il avait occupé en Chine le port de Kin-Tcheou, en nous poussant à en faire autant avec Port-Arthur. En s’efforçant d’engager la Russie dans une politique active en Extrême-Orient, l’empereur Guillaume caressait aussi l’espoir de nous brouiller avec l’Angleterre, qui avait en Orient des intérêts de premier ordre. Enfin, dans le cas d’une guerre avec le Japon, il comptait pouvoir affaiblir notre alliance avec la France, en nous proposant ses services et ses bons offices. Si la Russie tenait cependant à rester fidèle à la France, l’Empereur se contenterait d’attirer cette dernière vers l’alliance qu’il proposait à la Russie et qui était le comble de ses désirs.

Il ne faut pas se méprendre sur le caractère de cette alliance tant souhaitée par le Kaiser. Avec l’arrogance d’un vrai Teuton, il ne se la représentait pas comme des relations d’égal à égal, mais il considérait que la Russie devrait être entièrement subordonnée aux intérêts allemands, qu’elle devrait contribuer à l’anéantissement du danger anglo-saxon, qu’elle devrait enfin servir en général les desseins du pangermanisme. Afin d’agir d’une manière plus directe sur l’empereur Nicolas, il lui remit un chiffre spécial pour pouvoir correspondre sans l’entremise des ministres. Je ne sais si l’empereur Guillaume chiffrait lui-même

  1. Rohrbach.