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pauvres courtisans du pouvoir eurent-ils à couper cette mince attache, à troquer leur cocarde pour en arborer une autre de couleur différente ! Après tant de tribulations, tant de fidélités successives, dans quel état se trouvait donc l’année, quelles étaient ses tendances ? Mme Hamelin nous renseigne à cet égard.

« Les colonels sont bonapartistes, les officiers royalistes, les soldats républicains. Ce bout d’armée n’a de beau que son nom. Les chevaux sont pitoyables, parce qu’il a fallu gagner des millions sur eux. Les colonels, gros voltigeurs de l’Empire, ont de 50 à 62 ans et pèsent 200 livres. Ils sont là seulement pour attendre le grade et la retraite de maréchal de camp. Il n’y a plus le moindre accord entre eux et leurs régiments qui trouvent dur d’essuyer deux genres d’émigrés. Je parie que pas un seul des colonels actuels, — pas un, — n’est en état de supporter une campagne d’hiver et ce sont les colonels qui ont fait les succès de nos armées ; c’est la vie, l’âme des batailles. Les officiers en masse sont en opposition, soit par bonapartisme, soit par royalisme. Oui, qu’on m’en croie, ce ne sont pas là les paroles d’une émigrée, d’une dame du Palais Caroline, d’une congréganiste enfin. C’est une personne qui écoute les hurlements de tous les partis, qui est mêlée à la littérature, aux arts, aux grands noms, à l’industrie, au commerce, aux colonies et même à ceux qui gouvernent et c’est avec une profonde et douloureuse conviction que cette personne vous déclare que ce pays n’a plus d’élan, plus de force. » Bref, si l’on n’y met pas bon ordre au plus tôt, Mme Hamelin pense que le pays est perdu. Et, mon Dieu ! c’est ce que partout et toujours ont répété, et peut-être même cru, ceux qui n’étaient point satisfaits de la forme de leur Gouvernement.

L’humeur atrabilaire de Mme Hamelin s’explique sans doute, — et surtout, nous voulons le croire, — par le chagrin de ne point voir à la tête de la France ceux qui seraient le mieux faits pour conduire ses destinées. Mais n’a-t-elle pas d’autres motifs d’aigreur ? Il est si triste pour une personne jadis influente de sentir que son crédit s’effrite ! Et cette tristesse n’est-elle pas doublée, quand cette personne a été une jolie femme, qu’elle vieillit, que sa beauté est un souvenir et qu’elle doit désormais uniquement compter sur son esprit ? Sa nature emportée, qui, aux heures de la jeunesse, avait procuré à Fortunée Hamelin une joie exubérante de vivre, lui valait peut-être,