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Et plus loin, dans le même journal, je lis encore ceci à propos de quelques pages envoyées par l’ex-policière. « C’est là un tableau piquant de la France d’aujourd’hui. Le tout est vu dos coulisses par une femme active, spirituelle, pénétrante, qui d’ailleurs connaît tous les acteurs et vit fort mêlée avec eux. Ses lettres sont un baromètre. Quand elle avait de l’espoir dans le bonapartisme, elle écrivait à Marmont ; quand elle voit briller l’étoile d’Henri V, c’est à moi qu’elle s’adresse. En tout cas, elle est fort bonne à consulter, il lui arrive d’être sincère. »

Ces quelques mots nous révèlent l’état d’âme de celle qui nous occupe. Si, d’aventure, elle entre en coquetterie avec le parti légitimiste, c’est qu’elle veut avant tout renverser Louis-Philippe. Le moyen le plus réalisable serait, semble-t-il, de lui substituer le Duc de Bordeaux ; aussi se montre-t-elle toute prête à s’y appliquer, mais avec sa raison qui hésite à poursuivre la chimère la plus séduisante, car si elle écoutait son cœur, elle appellerait l’Aiglon, l’Aiglon qui ressusciterait un peu la grande épopée, qui redonnerait du lustre à la France et peut-être une bonne situation à Fortunée Hamelin. Mais ne soyons pas sceptiques et croyons à la vérité de ses sentiments, quand elle nous apparaît comme ayant reporté sur le duc de Reichstadt son grand amour pour les Bonaparte. La prédilection qu’il lui inspire est assurément sincère, peut-être même désintéressée. Ecoutons-la, pour nous en convaincre, crier son chagrin, quand elle apprend que le fils du grand Empereur est aux prises avec un mal implacable et qu’en Autriche on ne donne point à ce mal les soins qui conviendraient.

« J’ai lu en pleurant un passage touchant de votre lettre. On m’a suppliée de le laisser copier et il a paru dans le Temps. Ceux qui ne connaissent pas l’expression sèche de Raguse ont pensé que c’était de lui. Votre âme a bien un autre style. Dès que le cœur vibre, le talent est arrivé. Voilà pourquoi, monsieur, vos lettres sont charmantes.

« Ce que vous me dites de l’héroïque enfant est accablant. »

Et aussitôt Mme Hamelin de suggérer quelques moyens de salut.

« D’abord un silence complet de six mois au moins, du lait, une fumée intérieure de goudron, puis les Pyrénées. De quoi les Pyrénées n’auraient-elles pas guéri le duc de Reichstadt ? Mais cédons tout à la politique et parlons seulement de l’humanité,