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de la voix du sang. Si l’Italie, les Pyrénées sont interdites à ce noble enfant, ne pouvait-on l’envoyer dans une île de la Grèce, à Madère si réputée pour les poitrines irritées ? Que sais-je ? Constantinople n’est pas républicaine et on y respire un air doux et embaumé. Tout valait mieux que Vienne. La distraction est si puissante à son âge ! On faisait voyager même le Masque de fer avec lequel notre duc a plus d’un rapport.

« Mais enfin accordons encore Vienne. Pourquoi, aux premiers graves indices, n’avoir pas fait arriver deux des lumières de Paris ? Quoi ! ici un épicier est à peine malade que sa famille va porter son louis d’or à Dupuytren, Broussais, Biet ; et on ne les fait pas venir pour un enfant dont on est responsable devant Dieu et devant les hommes ! On dit que le choléra vous a enlevé vos vieilles expériences, que Malfatti [1] est systématique, on dit, on dit qu’on est au désespoir. Elevez votre voix courageuse, s’il en est temps encore. Qu’on fasse arriver de grandes renommées ! Ne serait-ce, hélas ! que pour déraciner les odieux soupçons. Je ne puis vous parler d’autre chose. De l’attendrissement, je passerais à la colère et j’aime encore mieux les larmes. Mon Dieu, qu’on en verse en France ! Si elles arrivent au ciel, nous sommes sauvés. »

Si, par moments, Fortunée Hamelin a des ferveurs bonapartistes, il n’en reste pas moins qu’elle semble s’attacher à la cause d’Henri V et, pour la faire triompher, elle s’agite, cherche à faire naître de saintes haines, stimule les rancunes, secoue les découragés. Mais elle se lamente, elle trouve les légitimistes mous et sans cohésion. D’une plume alerte, elle nous les dépeint et en la lisant surgissent à nos yeux des ducs, des marquis ou des comtes à la manière de ce marquis de Claviers-Grandchamp dont M. Bourget nous a brossé le portrait.

« Je crains de vous affliger, avoue-t-elle au ministre proscrit, en vous parlant sincèrement du parti royaliste, ce parti si grand par le nombre, la richesse, la civilisation, les beaux souvenirs, l’immense clientèle. Eh bien ! il a trouvé le moyen de se faire émigré sans quitter le sol, émigré moins les dangers, moins le dévouement, moins le beau côté enfin. Certes, je n’ai pas l’injustice de lui reprocher son inaction en juillet. Là tout fut surprise. Les amis du Roi ignoraient tout, les chefs d’armée

  1. Médecin du duc de Reichstadt.