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Il fallait beaucoup d’art pour éviter la monotonie en un pareil sujet. Si variés que soient les spectacles de l’archipel ionien, la couleur en est partout à peu près la même. Comme toutes les régions de la Méditerranée, ce sont des pays bleu et or. Sans doute, les contrastes y sont nombreux et fréquents. Ces îles arides ont parfois des plaines herbeuses et des vergers luxuriants.

On nous y montre des rivières ombragées, des mares dormantes, des prairies où paissent des vaches et des chèvres. Ailleurs ce sont des torrents et des défilés romantiques. Quel effet déconcertant font les gorges d’Askiphu dans la désolation poudreuse et sèche de la Crète !... Mais toutes ces nuances se fondent dans la splendeur nue de l’ensemble. Toutes ces contrées sont le vrai royaume de l’Archer solaire, le fils de Zeus et de Latone, qu’on adora, pendant des siècles, dans les sanctuaires de la pierreuse Délos. Tout y porte l’empreinte de ses fureurs dévastatrices et tout y respire la joie brûlante de son approche. La matière sèche et dure de ces îles a été modelée et cuite comme une poterie, par la véhémence du Feu céleste. Et c’est lui encore qui a construit et sculpté ces roches éblouissantes, qui les a ordonnées comme de colossales architectures. Le paysage-type de ces régions, c’est une anse marine, avec des maisons blanches le long du rivage, et, dans le fond, en forme de dômes ou de cônes, de pyramides et de coupoles régulières, des montagnes opalines ou blondes et légèrement rosées, qui tremblent dans la vibration incessante de l’atmosphère, à travers un voile de vapeurs ténues et transparentes, — et, tout autour, sous le bleu pâle du ciel, le ruissellement doré de la lumière, — la mer glauque et bougeante, au « sourire innombrable. »

Ces pays radieux et stériles, M. Baud-Bovy nous les a représentés non pas seulement sous leurs apparences « instantanées, » au sens presque photographique du mot ; ni dans leur physionomie antique et fabuleuse, mais un peu à toutes les époques de leur histoire. Il n’oublie pas que les Cyclades ont été tour à tour helléniques, romaines, byzantines, vénitiennes et turques. Les palais des seigneurs francs, les tours, bâties en des siècles barbares, avec les colonnes et les architraves des