Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temples détruits, tout cela a trouvé place dans son livre des Cyclades. Il n’a même pas omis de nous signaler les vieux repaires de pirates, tels qu’ils existaient aux beaux temps des galères barbaresques et des chevaliers de Malte : par exemple, la petite ile de Kimolos, désignée par Tournefort sous le nom significatif de l’Argentière, et qui était, nous dit M. Gustave Fougères, » à la fois le lieu de recel et le grand paradis des corsaires, aménagé pour les dédommager des privations d’une vie aventureuse. » Vous vous rappelez, dans la Légende des siècles, la chanson des Aventuriers de la mer :


En partant d’Otrante
Nous étions trente,
Mais en arrivant à Cadix,
Nous étions dix !


Un écho de cette chanson nous revient à travers les pages de M. Baud-Bovy... Et, à ce propos, je ne résiste pas au plaisir de citer un trait d’un pittoresque un peu crapuleux, mais d’une si riche couleur ! — qui nous est rapporté par le plus hâbleur, le plus bravache et le plus brave de ces aventuriers, le capitaine Alonso Contreras, qui de marmiton, dit-il, devint commandeur de Malte !.. C’était après la capture d’un gros vaisseau turc. On avait fait un abondant butin en hommes et en marchandises. Les esclaves sitôt ferrés, nous dit Contreras, « nous fîmes voile pour Malte où nous arrivâmes bientôt. En route, comme la prise était si riche, le capitaine ordonna : « Que personne ne joue, de façon à ce que chacun arrive riche à Malte. » Il fit jeter cartes et dés à la mer, décréta grandes peines contre quiconque jouerait. Sur quoi, on imagina de jouer de la manière suivante : sur une table, on traçait un cercle grand comme la paume de la main, et, au centre, un autre cercle petit comme un réal d’argent. Chacun des joueurs mettait dans ce petit cercle son pou ; chacun suivait des yeux le sien et pariait de grandes sommes sur sa bête. Le premier pou qui sortait du grand cercle raflait la masse que je certifie être montée jusqu’à quatre-vingts sequins. Nous voyant si résolus, le capitaine nous laissa jouer comme il nous chantait. Si fort est le vice du jeu chez le soldat !.. » Quelle vigueur évocatrice dans le raccourci de ces quelques lignes ! On y entrevoit tout un monde mi-héroïque, mi-barbare : l’ordure de la galère,