Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couleurs les plus noires, de répéter sans se lasser que la Pologne n’est pas viable, qu’il est donc inutile de s’efforcer de lui donner les moyens de vivre, de lui procurer une industrie en lui rendant la Haute-Silésie, de lui donner un débouché maritime en la traitant honnêtement à Dantzig. Et, malheureusement, cette propagande fait son chemin.

D’une part, elle agite devant l’Angleterre le spectre d’un renforcement dangereux de la puissance française, si la France dispose d’une alliée solide à l’Est de l’Allemagne.

D’autre part, l’Allemagne espère bien, le moment venu, profiter d’un désordre introduit par elle en Russie pour y pêcher en eau trouble et faire de la Russie une véritable colonie d’exploitation allemande. A cet effet, de gros capitaux allemands sont dès maintenant consacrés à l’achat des forêts et des terres aux anciens propriétaires vivant en émigration, dont on exploite la détresse. Et, pour attirer l’Angleterre et la rendre favorable à l’opération, la propagande allemande fait miroiter aux yeux de ses financiers et de ses hommes d’affaires tous les avantages d’une collaboration anglo-allemande en Russie, à travers les pays baltiques, collaboration à laquelle l’Allemagne peut fournir des agents ayant l’expérience de la langue, des mœurs et des affaires russes, et de laquelle la France et la Pologne doivent être tenues à l’écart.

Voyons donc un peu, quelle est la situation réelle de la Pologne, les causes des difficultés de tous ordres auxquelles elle se heurte, et les chances qu’elle a de les surmonter.


La vitalité de la nationalité polonaise est indiscutable.

Pendant cent cinquante ans, elle a été partagée entre trois empires autoritaires, anéantie comme groupe politique, cruellement persécutée dans sa langue dont l’enseignement était presque entièrement interdit, gênée méthodiquement dans ses intérêts économiques délibérément sacrifiés à ceux d’autres races voisines et hostiles.

Et cependant, la langue comme la nationalité polonaise ont survécu. Dans les armées opposées qui se faisaient la guerre, les Polonais se reconnaissaient comme frères et ils trouvaient, tout en remplissant leur devoir militaire strict, le moyen de se communiquer leurs espoirs de voir la Pologne, à la faveur du