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en sa pensée, marquant le début d’un retour progressif vers les croyances et la foi de ses jeunes années.


Rosny-sous-Bois, le 17 août 1836, 7 h. du soir.

« Mon cher frère,

« L’affreuse nouvelle est arrivée. Elle me brise jusqu’au fond de l’âme. Julie m’a soutenu ; elle pleure avec moi celui qu’elle appelait comme nous son père. Depuis deux jours, elle me cachait les lettres de Blois et portait seule tout le poids de notre malheur. Ceux qui nous ont le plus aimés sont morts, et de tant d’affection pour nous, de tant de dévouement, de tant de vertus, il ne reste qu’un souvenir.

« Croyons que tout n’est pas fini avec cette vie et qu’il y a un lieu de réunion où les pères attendent leurs fils. Croyons-le, toi et moi, nous nous sommes trop détachés de ces idées.

« Ma sœur n’est pas venue à Blois. Remercions Dieu de ce qu’il t’a inspiré la résolution de faire le voyage, au moment où celui que nous regrettons pouvait reconnaître et embrasser son fils. Mon malheur est plus grand que le tien. Je n’ai pas entendu sa voix et je n’ai pas touché sa main. Je n’ai pour me consoler que la mémoire de son admirable vie, de cette vie de sacrifice, où pas une pensée n’était pour lui. J’aurais voulu que ma pauvre Julie pût le connaître. Elle sent tout ce qu’il y avait de grand dans cette âme si modeste et si forte. Elle m’en parle d’une manière digne et pénétrée qui est le langage le plus capable de me calmer. Ton aveugle souffre bien dans de pareilles épreuves. Il ne voit que ses idées et ses idées le brûlent. Tu as plus de force que moi, tu lutteras mieux contre la douleur. Adieu, je t’embrasse de tout mon cœur. Je suis accablé. »


Cette affliction si touchante fut longue à se calmer. En novembre. Mme Augustin Thierry écrivait encore à son beau-frère : « Augustin est toujours fort triste. Il essaie de se remettre au travail, mais ses idées ne sont plus avec le Tiers-Etat ni les Mérovingiens, elles sont toutes à des souvenirs d’anciennes scènes de famille et à des regrets que le temps seul adoucira. »

Cependant, les rudes et difficiles travaux de la Collection du Tiers-État, véritable toile de Pénélope qu’il fallait rentraire et raccoutrer sans cesse n’absorbaient pas seuls l’activité laborieuse de l’historien. Durant ces années 1835 et 1836, on le voit continuer