Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rares élus qu’il épargne dans ce pamphlet éloquent et redoutable que sont les Mémoires d’Outre-Tombe.

Ecrivain glorieux, consacré par l’admiration universelle, en faveur près de l’héritier du trône, intime de Villemain et de Cousin, hautement apprécié de Guizot et de Salvandy, Augustin Thierry se voyait naturellement assiégé de sollicitations sans nombre. Elles émanaient, pour la plupart, d’anciens camarades de l’Ecole Normale ou de condisciples malchanceux du collège de Blois. A toutes, il réservait un accueil indulgent. Durant dix années et davantage, on le voit faire office, pour tous ces quémandeurs, d’un véritable bureau de placement.

Cependant, sa plus chère sollicitude va toujours à sa femme. On connaît les ambitions littéraires de Mme Augustin Thierry. Sa mauvaise santé l’obligea bientôt d’y renoncer : de cruelles névralgies lui interdisaient toute application soutenue. Mais au début de leur union, son mari ne cessa point de l’encourager, s’employant de son mieux à servir ses projets.

Quand elle a terminé son roman d’Adélaïde, il intervient auprès de Buloz pour le faire accepter par la Revue et veut assurer en personne la correction des épreuves. Lorsque le livre parait en librairie chez Tessier, il insiste auprès de l’éditeur afin qu’il ne ménage rien qui puisse assurer le succès : « Je tiens plus, je le répète, à une complète publicité pour les ouvrages de Mme Thierry que pour mes propres ouvrages, » et prend la peine de rédiger lui-même les papillons de lancement.

Travaux absorbants et difficiles, correspondance officielle ou privée considérable, démarches multiples, révision de son œuvre, dont paraissent successivement de 1838 à 1840, la 5e édition de l’ Histoire de la Conquête, la 6e des Lettres sur l’Histoire de France, la 3e de Dix ans d’Études : on demeure stupéfait de l’activité déployée par ce paralytique.

Elle ne l’empêche point de rester le témoin attentif des événements politiques de son temps, le juge réfléchi de l’évolution des idées qui s’accomplit en France et en Europe.

Lorsqu’au mois de mars 1840, Thiers prend le pouvoir en des conjonctures malaisées, provoquées à l’intérieur par l’agitation républicaine grandissante, à l’extérieur par la politique orientale de Palmerston, Augustin Thierry signale à George Ticknor, l’érudit américain autrefois rencontré chez La Fayette,