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littérature est une des conditions, d’abord de sa vie intérieure, dont le tonus s’exalte ou s’abaisse avec la pensée de ses écrivains ; puis de sa vie extérieure, dont le rayonnement est dû à cette pensée. Maintenant plus que jamais, cette propagande intellectuelle est urgente. La défense de notre génie national n’est pas un devoir moins sacré que celle du territoire. Mais comment les susciter, ces défenseurs de la pensée française ? Comment leur assurer le contact avec le public, si malaisé quand le nom de l’auteur est inconnu ? C’est ici que les Revues ont un rôle à jouer, incomparable. Un volume signé de cet inconnu aurait cent lecteurs. La Revue lui en donne aussitôt vingt mille, trente mille, cinquante mille. L’auteur connu voit également son public, ou s’agrandir, ou se confirmer, et quand cette Revue est une maison presque séculaire et qui porte en elle une tradition, tous deux, le débutant et le vétéran, se sentent, en écrivant, regardés et jugés par les aînés. Ces grandes mémoires leur commandent de les continuer ou du moins de l’essayer.

Voilà de bien graves paroles pour un toast prononcé à la fin d’un banquet intime. Ces messieurs et vous, mon cher directeur et ami, ne me les reprocherez pas. Vous y reconnaîtrez l’expression de deux sentiments que nous portons tous au cœur : le fervent amour des lettres, et le culte de la Patrie. Où les affirmerait-on plus légitimement qu’entre fidèles d’une Revue, dont le service de ces deux nobles causes a toujours été la profonde raison d’être ?


M. GABRIEL HANOTAUX
de l’Académie française


Messieurs, et, permettez-moi de dire, chers amis,

Je préfère ne pas compter, mais il me semble bien qu’il y a quelque trente-cinq ans que j’ai franchi, pour la première fois, un manuscrit à la main, le seuil de la maison de la Revue. L’ombre de Buloz rendait ce passage très frais pour un débutant. Brunetière gardait l’entrée. Je mourais de peur... et je fus admirablement accueilli. Après quarante ans, j’ai encore peur quand je franchis le seuil de la vieille maison ; car je sais ce qu’elle est en droit d’exiger de nous ; mais je suis toujours si cordialement accueilli ! C’est donc à titre de très ancien rédacteur que je prends la parole aujourd’hui.

M. Doumic, qui est un chef, un patron, m’a dit : « Il faut parler. » Et il a ajouté : « Parlez-nous de l’histoire, de la politique, de la diplomatie