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pendant la guerre. » Que cela !... Bon, si j’avais son art de résumer toute une question en quarante lignes, comme il le fait chaque quinzaine sur la première page de la couverture saumon ! Mais comment faire, quand il s’agit d’un tel sujet et d’un tel auditoire ?

Je dirai donc, tout simplement et en deux mots, que, dans cette crise inouïe de la Grande Guerre, la Revue des Deux Mondes a été digne de son nom, qu’elle a été réellement la Revue des deux continents et de la terre entière.

La lutte était universelle ; si l’une ou l’autre des parties du monde eût manqué à son devoir, la cause était perdue, la civilisation et la liberté périssaient d’une même ruine. Or, les deux mondes se sont levés, l’ancien et le nouveau, et il n’est pas douteux que la propagande qui les a jetés et unis dans la lutte ait été menée surtout par la pensée française.

Qui pouvait exprimer cette pensée au loin et avec autorité ? Comment se traduirait-elle, comment s’exporterait-elle, comment dominerait-elle le bruit de la propagande adverse ? Paris menacé, les hommes dans les camps, les femmes dans les hôpitaux, la vie publique et particulière bouleversée... Nous avons vécu ces temps ; plus de domicile, plus de lendemain ; où et comment écrire, composer, publier, se faire lire, se faire entendre ? Ni papier, ni imprimeurs, ni lecteurs... Or, au milieu de ce désordre immense qui ne laissait intacte que l’âme du pays, la Revue continua à remplir toute sa tâche, en se tenant, si j’ose dire, collée à cette âme.

Ainsi, elle restait une digne héritière de ses traditions et de son passé. Elle était patriote en 1914 comme Buloz l’avait été en 1870, intelligemment, assidûment, fortement. De même que ces gens du XVIe siècle, qu’on appelait les « bons François, » elle n’avait qu’à rester elle-même, en se tenant, les yeux fermés, les bras serrés, attachée au grand mât de la patrie.

Francis Charmes, qui est comme présent ici, René Doumic qui saisit après lui le drapeau, et leur fidèle collaborateur Joseph Bertrand, se multipliaient dans toutes les besognes, les plus hautes et les plus astreignantes, tandis que ceux des collaborateurs que leur âge tenait éloignés des armées, venaient apporter à la Revue les vestigia flammæ, leur seule offrande possible au milieu de l’immense holocauste.

Quelles journées et quelles nuits ! Il fallait méditer, écrire, combattre dans le bruit des armes, avec le canon tonnant sur les têtes, moins terrible encore que les coups dont, pendant cinq ans, les « communiqués « alternés martelaient nos cœurs !