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jour plus critique. Désormais toutes les recettes sont en Anatolie, où nul ne peut les atteindre, et toutes les dépenses à Constantinople, sur qui pèsent, outre les charges financières et administratives de l’ancien Empire, les frais énormes de l’occupation interalliée.

L’économie et les finances privées ne se ressentent pas moins que les finances publiques de cette situation exceptionnelle. Constantinople, privée de la Thrace, coupée de l’Anatolie, ne vit que d’importations, pour la plupart anglaises et américaines ; il lui faut donc payer en livres sterling et en dollars. D’autre part, la Turquie n’exporte pour ainsi dire plus rien : le cours de sa devise, qu’elle n’a aucun moyen de soutenir, est à la merci des spéculateurs, qui opèrent en grand et en petit à l’étranger et à l’intérieur. Les banques, même les plus importantes, s’étaient résignées, faute de mieux, à travailler avec les commerçants et à consentir des prêts sur marchandises. On a vu s’accumuler des stocks invendables ; puis la baisse est survenue. Les maisons de commerce ont fait faillite, entraînant dans leur ruine les petites banques et infligeant aux plus grandes des pertes sensibles. Une seule faillite, celle de la maison arménienne Dilsizian et Cie, survenue au mois de juillet dernier, atteignait huit banques de premier ordre, pour une somme totale de deux millions et demi de livres turques. Aujourd’hui Galata ne vit plus guère que sur les opérations de change. La spéculation n’a d’autres limites que celles que s’imposent entre eux les spéculateurs, celui-ci s’engageant, par exemple, à ne pas opérer sur l’or monnayé, ou sur l’or en lingot, et exigeant une redevance mensuelle des concurrents qui se sont réservé cette partie du marché.

Dans cette ville improductive et privée de ressources, envahie par des étrangers, — fonctionnaires civils, militaires et leurs familles, — dont la monnaie fait prime, et de combien ! sur celle du pays, le prix de la vie a atteint des hauteurs fabuleuses. Constantinople est probablement aujourd’hui la résidence la plus coûteuse de l’Europe. Et les difficultés, presque insurmontables, du problème économique, sont encore accrues par l’afflux des émigrés chassés de Thrace ou d’Asie-Mineure et par la présence des réfugiés russes.