ne s’est élevé du parvis vers la galerie curieuse et bruyante. Si indiscrète, si gênante que put leur paraître la présence d’un public doublement étranger à leur race et à leur religion, tous ces hommes agenouilles ou prosternes ne daignaient même pas s’en apercevoir et ne souffraient pas un instant qu’elle vint distraire ou diminuer l’ardeur avec laquelle, sans doute, ils suppliaient Allah de balayer ces infidèles, de rendre à son calife une indépendance souveraine et à son peuple une tranquille liberté.
Quelques jours plus tard, je confiais à un homme politique, membre naguère important de l’Entente libérale, les réflexions que m’avaient suggérées mes promenades nocturnes à travers Stamboul, pendant le mois de Ramazan. « Il me semble, lui disais-je, que tous les Turcs de Constantinople sont nationalistes. » Il me répondit : « Comment en serait-il autrement ? Nous pouvons ne point partager les idées politiques de Moustapha Kemal et de ses amis ; les accointances du gouvernement d’Angora avec l’Union et Progrès, avec les Juifs et avec les Bolchévistes peuvent nous déplaire et même nous inquiéter. Mais il nous est impossible de ne pas être de cœur avec ceux qui défendent le territoire de l’Empire contre les envahisseurs et qui, pour le moment, incarnent en eux la défense nationale. Entre les nationalistes et les Grecs, notre choix n’est pas libre : nous sommes nécessairement pour les nationalistes. »
Voilà le sentiment d’un adversaire irréductible de l’ancien Unionisme. Mais la majorité des Turcs de Constantinople me semble aller beaucoup plus loin. Si, par attachement à la tradition, ils déplorent que la capitale de la Turquie, le cœur de l’Empire aient été transportés d’Europe en Asie, ils reconnaissent que, dans les circonstances actuelles, ce changement a bien des avantages.
— Constantinople n’est plus à nous, me disait un Turc. Les Alliés l’occupant en maîtres et nous obligent à y tolérer la présence des Grecs, nos ennemis. Les officiers hellènes, leurs camions, leurs patrouilles, leurs recruteurs encombrent nos rues. Matin et soir, les honneurs sont rendus solennellement, chez nous, sous nos yeux, au pavillon du roi Constantin ; un