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du soleil. Quand je pénétrai dans Sainte-Sophie, l’immense basilique était déjà pleine : le parvis était réservé aux fidèles, on avait abandonné aux curieux la galerie circulaire du premier étage. Des officiers, des diplomates et leurs invités causaient bruyamment et faisaient les cent pas en attendant la cérémonie. En bas, c’était le recueillement, l’immobilité et le silence. Régulièrement alignés dans le sens des longues nattes étendues sur le parvis, assis sur leurs talons ou prosternés la face contre terre, les croyants priaient déjà. Sur le même rang, on voyait coude à coude des hommes et des enfants revêtus de la longue robe traditionnelle, d’autres en veston ou en bras de chemise, des officiers, des soldats et des marins en uniforme. Au premier rang de la tribune qui s’élève face au member, deux vieillards à longue barbe, enveloppés l’un d’un manteau pourpre, l’autre d’une soie verte brochée d’argent, semblaient être des figures de roi ou de prophète, détachées de quelque mosaïque. Jamais Sainte-Sophie ne m’était apparue si belle. La demi-obscurité rendait presque invisibles les affreux boucliers verts accrochés aux piliers ; tous les détails fastidieux, tous les ornements choquants étaient noyés dans l’ombre. Seules les grandes lignes d’architecture se révélaient, soulignées par des rampes de veilleuses blanches, en une composition grandiose et comme simplifiée.

Une voix s’éleva, grêle et aiguë, mais prodigieusement agile et souple. Par intervalles, cinq mille voix lui répondaient. Un seul rythme, commandé par l’oraison, courbait toutes ces échines et toutes ces têtes, puis brusquement les relevait. Parfois, surgie d’on ne savait où, une prière isolée, criarde, venait contrarier, dominer même la prière officielle. Personne, en bas, ne semblait y prendre garde, et les galeries seules s’en étonnaient : libre à chaque fidèle d’invoquer le Très-Haut à sa guise et suivant le propre élan de son cœur. Quelqu’un, près de moi, relève le contraste que forme avec le cadre classique, parfait, savamment raisonné de la basilique justinienne, cette liturgie primitive, directement importée du désert. Il me semble que le contraste existe surtout dans notre esprit, entre ce qu’il comprend d’instinct, sans hésitation, et ce qu’il devine mal et interprète confusément. L’impression que j’emporte est celle d’une foule ordonnée, recueillie, si complètement absorbée dans sa prière, que, durant toute la cérémonie, pas un regard