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l’emporteront sur les préférences de doctrine, comme sur les ambitions de parti. »

Je demandai à Yacoub Cadri de quels moyens ses amis et lui disposaient pour se maintenir en contact avec le Gouvernement et l’Assemblée d’Angora, et dans quelle direction, en fonction de quel programme ils orientaient leur action commune.

— Entre nous et nos amis d’Angora, me répondit le rédacteur de l’Ikdam, l’accord s’établit plus souvent encore par intuition que par correspondance. Toutefois les agents de liaison ne manquent pas, entre l’Europe et l’Asie ; enfin nous recevons assez régulièrement les journaux anatoliens. Il est vrai qu’à Constantinople la vente en est interdite ; mais il n’est pas de club et presque pas de café où on ne les trouve.

« Quant à notre programme, je n’ai pas qualité pour le définir dans tous ses détails, et les circonstances peuvent le modifier. Néanmoins, je puis vous indiquer les idées directrices du groupe auquel j’appartiens, et qui travaille en union étroite avec les nationalistes d’Asie. Le groupe se compose essentiellement d’intellectuels, de professeurs d’université, d’étudiants et de journalistes. Nos principes sont, du moins dans la forme, ceux du Tanzimat : nous voulons réformer la Turquie, en faire un pays moderne et civilisé, tout en réservant expressément l’institution monarchique et la foi religieuse. Nous voulons développer ou introduire dans notre pays le parlementarisme, la liberté de conscience, l’émancipation de la femme. Mais, pour le fond, nous différons d’avec les anciens réformateurs, et plus encore d’avec les Jeunes-Turcs de 1908. Ceux-ci étaient des idéalistes, ou même des idéologues : nous sommes des réalistes. Ils s’exaltaient aux idées de liberté et d’égalité, nous nous inspirons surtout de l’idée nationale.

« Le malheur nous a conduits à prendre mieux conscience de nous-mêmes. A l’Empire Ottoman, entité métaphysique, nous voulons substituer l’Empire Turc, réalité ethnique et politique. Nous limitons notre domaine aux seuls territoires où les Turcs musulmans forment la majorité de la population, c’est-à-dire à la Thrace, avec Constantinople, et à l’Anatolie. Le sacrifice des provinces arabes, syriennes, et même arméniennes, sous réserve d’une équitable délimitation, est considéré par nous comme nécessaire ; il est d’ailleurs consenti désormais par la plus grande partie de la nation. Nous admettons que les minorités