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morts pendant le siège, messe qui, chaque année, le 7 septembre, se célèbre à la cathédrale, Colette a la claire révélation de son devoir de Française : les morts ont parlé ; elle ne peut pas, elle ne doit pas épouser un Allemand : car elle perdrait l’estime des Dames de Metz.

Certes, cette « petite Française de la lignée cornélienne «  est touchante. Peut-être le serait-elle davantage, d’une part, si la lutte qui s’engage dans sa conscience était moins brièvement analysée et nous était rendue plus sensible, et, d’autre part, si son sacrifice lui était, osons le dire, plus rude. Car elle n’aime pas d’amour Frédéric Asmus, lequel, en vérité, n’est pas très séduisant. Il y a des Chimènes bourgeoises, et je crois bien que Colette Baudoche a le cœur et l’âme de l’une d’elles ; mais son Rodrigue des bords de la Sprée, avec toutes ses qualités de sérieux et de bonhomie, n’est pas fait, — du moins en France, — pour provoquer quelque grande passion : il mérite estime, sympathie, amitié, tout ce que lui donne généreusement Colette, mais rien de plus. Et je suis d’ailleurs bien aise que Colette Baudoche n’ait pas le cœur brisé en disant adieu à Frédéric Asmus : la vie lui ménage peut-être quelque heureuse compensation, et, en tout cas, si elle avait épousé son Prussien, elle aurait trop souffert quelques années plus tard... Il est probable que son cas a dû être assez fréquent dans les pays annexés, au cours des quarante-trois ans qui ont suivi nos désastres.

A ce titre, le petit roman de M. Barrès, comme celui qui l’a précédé, a une portée représentative et symbolique qui en rehausse l’intérêt et le prix. Poser des cas de conscience largement humains, en étudier la répercussion sur des âmes d’aujourd’hui, fines, complexes, hautes et vibrantes, peindre avec une sobre discrétion les situations émouvantes où la vie et leur sensibilité les engagent : la littérature classique n’a pas fait autre chose, et n’est-ce pas là le commun idéal d’art qui a inspiré des œuvres telles que le Cid, Andromaque ou la Princesse de Clèves ? L’auteur d’Au service de l’Allemagne et de Colette Baudoche s’est définitivement rallié à la meilleure tradition de chez nous. Il a très délicatement ouvragé les fines tragédies tempérées qu’il avait conçues. La peinture des sentiments des Alsaciens et des Lorrains à l’égard des vainqueurs, leur « volonté de ne pas subir, leur volonté de n’accepter que ce qui s’accorde avec leur sentiment intérieur « lui a paru une riche