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une seule voix, un seul peuple. » Il rappelait avec joie une magnifique parole récente de Jaurès : « L’Alsace et la Lorraine sont comme ces arbres qu’on peut séparer par une muraille de la forêt, mais qui, par les racines profondes, vont rejoindre sous la muraille de l’enclos les racines de la forêt primitive. » Il notait avec finesse les curieuses affinités électives qui, des deux côtés des Vosges, rapprochaient entre elles les générations nouvelles, « ce rythme, disait-il, qui soulève dans la même cadence notre jeunesse et la vôtre. » « Nos fils et vos fils ne se sont jamais vus, ils se ressemblent et ils s’aiment. » Il citait avec attendrissement ce mot qu’il avait lu « dans un cimetière de la Lorraine heureuse : » « Qu’il soit béni celui qui posa l’espérance sur les tombes. » Espérance, foi dans l’avenir, « tous ces grands cris de vigueur et de confiance indéterminée qui sont l’âme de notre nation « scandaient infatigablement les phrases, on serait tenté de dire les strophes de cette noble harangue.


Attachons-nous, concluait l’orateur, à cette vertu d’espérance. Et puisqu’ayant à parler, dans Metz, de la France, je me suis imposé de n’y rien dire que je ne puisse penser en présence d’un digne Allemand, et par exemple d’un Goethe, c’est à celui-ci que j’emprunterai le mot par lequel je veux clore et résumer tout ce que nous avons éprouvé au cours de ces trois journées. Oui, nous prendrons pour mot d’ordre le beau mot de Goethe dans le deuil : « Allons ! par-dessus les tombeaux, en avant ! « [1]


Et comme si ces paroles n’étaient pas assez explicites, il les commentait en deux articles qui en soulignaient le sens et la portée : « Au reste, disait-il, c’est très clair, très simple et très net, ce que nous attendons, ce que nous souhaitons des annexés : qu’ils restent Alsaciens et Lorrains, qu’ils demeurent pareils à eux-mêmes, de manière qu’au jour où nous reviendrons les prendre, nous nous reconnaissions les uns les autres sans peine et que la vie recommence, la vie de la famille française, comme si les dures années de la séparation n’avaient pas existé. Nous arriverons, et ils diront : Nous vous attendions ; nous reconnaissez-vous ? « — « Eh bien ! la bataille continue, —

  1. Un discours à Metz (15 août 1911), édition originale, Emile-Paul, p. 12-23. — Sur les circonstances où ce discours a été prononcé, cf. l’Ame française et la Guerre, t. I, p. 49-54 : édition originale, Emile-Paul.