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son impatience à « étudier dans les ouvrages spéciaux le cérémonial du Sacre ; » il en avait même répété avec ses intimes les principales scènes « comme s’il eût été au moment de partir pour Reims. » Sa Cour de Vérone était modeste, encore qu’il y tînt opiniâtrement son rôle de Roi ; dès son « lever, » il était paré selon l’étiquette, « décoré de ses cordons et ceint de son épée qu’il ne quittait que pour se mettre au lit. » Quand il ne donnait pas audience, il s’enfermait chez lui « et on l’entendait se promener en long et en large avec beaucoup d’agitation, » seul exercice que lui permettaient sa goutte et sa corpulence. Jamais il ne sortait, passant des heures à lire le Moniteur et autres journaux venus de France ; il s’intitulait et les Cours étrangères le nommaient Comte de Lille et lorsqu’un visiteur lui donnait le titre de Majesté, il poussait de profonds soupirs. Sa table était peu abondante, sans élégance ; sa domesticité mal vêtue, son appartement pauvrement meublé.

Le comte d’Avaray, son « capitaine des gardes, » était le grand favori, l’intime, l’inséparable, « un véritable ami, une sorte de frère ; » poitrinaire, mélancolique, homme d’honneur et de loyauté, mais opiniâtre, il était de ceux qui souhaitaient de formidables représailles comme don de joyeux avènement de la monarchie restaurée. Le duc de la Vauguyon, « premier ministre » du monarque exilé, se montrait plus modéré ; aussi d’Avaray l’avait-il pris en grippe : le maréchal de Castries, bientôt évincé, le baron de Flachslanden, le marquis de Jaucourt complétaient le « Conseil du Roi ; » quelques gentilshommes, un chapelain, un secrétaire, deux commis formaient sa Cour et composaient ses bureaux. La maison de Vérone était « le temple de l’ennui ; » toutes les figures y étaient « allongées et bâillantes. »

Il fallut pourtant quitter ce morne asile ; l’armée de Bonaparte approchait et quoiqu’on ne redoutât pas beaucoup « toute cette ladrerie de la Provence et du Languedoc conduite par un capitaine gueux, » la sérénissime république de Venise invita Louis XVIII à s’éloigner. Il protesta et partit incognito, le 21 avril 1796, à trois heures du matin, seul dans une berline légère avec son fidèle d’Avaray, par la route de Bergame et du Saint-Gothard, tandis que la Vauguyon, « qui lui ressemblait beaucoup, » prenait ostensiblement la route du Tyrol. Le comte de Lille traversa la Suisse, se rendant à l’armée des émigrés ;