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le 28 avril, dans la nuit, il arrivait à Riegel, en Brisgau, où le prince de Condé avait son quartier général.

Louis XVIII put se croire là véritablement Roi, tant les Condéens l’acclamèrent. Leur foi était si ferme qu’ils s’imaginaient tenir en lui la victoire ; lui-même en fut grisé ; il prit goût à la représentation ; il montait à cheval, exercice qui lui était peu familier ; il passait ces revues dont on faisait au Directoire des gorges chaudes et où l’on voyait paraître, ricane Barras, « des régiments de quinze, de dix et même de quatre hommes. » « Sire, voilà votre régiment d’Auvergne, disait sérieusement le prince de Condé, voilà votre régiment de Champagne, votre régiment de la Couronne... Les tambours battaient aux champs, le canon tirait... » Mais la présence du Roi à l’armée gênait l’Autriche qui, comptant encore sur la victoire, ne voulait pas en partager les profits ; il reçut l’ordre de s’éloigner et dut obéir. Où s’arrêter ? Ce Bourbon errant épouvantait toutes les Cours de l’Europe, qui redoutaient, en lui donnant asile, les représailles de la République française. Seul, le duc de Brunswick consentit, par pitié, à le recevoir, sous la condition qu’il n’habiterait pas sa capitale et qu’il se logerait à l’auberge. C’est ainsi que, à la fin d’août 1796, la « Cour de France « s’installe à Blankenbourg, au pied du Harz, pays froid et brumeux, dans la chétive maison d’un épicier « dont la façade est toute en vitrages et dont les chambres sont à peine logeables. » Trois pièces : l’une devient l’appartement du Roi ; l’autre est réservée aux « gentilshommes de service » et sert en même temps de chapelle ; la troisième est « la Galerie, » à la fois salon et salle à manger. O Versailles ! Dans ce taudis Louis XVIII allait régner dix-huit mois, si c’est régner que de dire : « Mon peuple, mon sceptre, ma couronne, » et d’assurer, au moyen de correspondances incessantes, la liaison entre une nuée d’agents secrets ou se croyant tels, disséminés dans toutes les régions du « royaume de France. »

Dès avant la chute de Robespierre, le Roi avait à Paris un émissaire, un espion pour mieux dire, chargé de surveiller et d’activer les progrès de l’esprit public. C’était Lemaitre, désigné dans la correspondance sous les noms de Letraine, Boissy, le Juif, et sous bien d’autres encore. Lemaitre était né conspirateur : la trigauderie, le mystère, les caches, les dangers, les poursuites, les travestissements lui étaient aussi indispensables