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de l’année 1800, il part pour l’Angleterre « dans l’intention d’éclairer les ministres de Sa Majesté britannique. » Ceux-ci, pour se débarrasser sans doute de cet encombrant rêveur, le chargent de porter une dépêche à Wickham, qui se trouve aux environs de Vienne. Fauche traverse l’Europe « à toute chaise ; » il voyage à présent en personnage de marque, heureux de vivre, de rouler sans arrêt, de descendre aux bonnes auberges ; il aime ce mouvement continu qui berce ses chimères, la traversée des petites villes, l’admiration des bonnes gens qui, du pas de leur porte, contemplent au passage ce grand seigneur vite entrevu, bien rencogné sur les coussins, se rengorgeant, la face épanouie, ses gros yeux à fleur de tête, tandis que le postillon, le cornet aux lèvres, sonne une fanfare et que le maître du relai, bonnet bas, s’empresse à servir Son Excellence. Il va ainsi, en moins d’un an, de Vienne à Wesel, à Hambourg, retourne à Londres, retraverse l’Europe pour atteindre Baireuth, revient à Francfort et, pour la première fois depuis quatre ans, s’arrête enfin, dans l’été de 1801, à Neuchâtel, — chez lui, — et revoit sa maison, sa femme et ses enfants.

Sa bourse était bien garnie, car, pendant ce séjour, il acheta cinq cents louis un beau terrain à quelque cent toises de la ville, dans un site agréable, au lieu dit le Vieux Châtel et s’occupa aussitôt d’élever là une maison de campagne. Mais il était écrit que la politique aurait toute sa vie et, comme sortaient à peine de terre les fondations de l’immeuble projeté, Fauche reçut de Londres une lettre l’invitant à se rendre au plus tôt auprès des ministres anglais. L’Europe, — en paix cependant pour la première fois depuis dix ans, — a besoin de son concours : il part, prend la route de France, traverse Paris, bien qu’il n’ignore pas que la police consulaire le guette, gagne Calais sans être inquiété, et arrive à Londres. Il apprend là que le cabinet britannique lui réserve une mission de haute confiance et dont la réussite exige une habileté sans pareille : quoique le Gouvernement anglais ait signé la paix avec la République française, il n’a pas renoncé à replacer les Bourbons sur le trône : il veut abattre Bonaparte et, pour obtenir ce résultat, opposer à son prestige, de jour en jour grandissant, celui de deux hommes dont le nom est demeuré populaire et qui sont aimés de l’armée : Pichegru et Moreau. Pichegru, échappé par prodige à son exil de Cayenne, est à Londres ; il