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Charles-Frédéric Perlet avec lequel, quoiqu’il s’en défende, Fauche dut lier connaissance, car il retrouvait en lui un compatriote, Perlet étant né à Genève, où il avait vécu longtemps et où il s’était marié. Devenu veuf, établi imprimeur à Paris, il y avait entrepris, en novembre 1790, la publication d’un journal qui connut la vogue et prospéra. Quoique cette feuille portât le titre de Journal de Perlet, celui-ci n’y écrivait guère : il passait pour fort peu instruit et même pour « ne posséder aucune espèce d’aptitude, » en quoi on se trompait, comme on le verra… D’ailleurs Perlet devait inspirer confiance à Fauche-Borel, car il était bon royaliste : il se vantait d’avoir contribué, en 1795, par un article retentissant, à la libération de Madame Royale, fille de Louis XVI. Compris dans les proscriptions de Fructidor, déporté à Cayenne, rappelé d’exil au début du Consulat, il fit en Europe une dramatique rentrée en scène : le bateau qui le portait se brisa sur les côtes d’Ecosse ; Perlet, jeté au rivage, recueilli par des pêcheurs, transporté à Edimbourg, avait séjourné en Angleterre et visité l’Allemagne avant de rentrer à Paris où il s’était fixé depuis deux ans précisément dans cette maison où Fauche fréquentait, en l’été de 1802, sous le prétexte d’imprimer ses inédits de Jean-Jacques Rousseau. Perlet, marié en secondes noces à la sœur de l’écrivain Fiévée, essayait alors de retrouver son succès d’antan ; mais ruiné par la proscription, sans crédit, sans talent, il végétait dans un vague commerce de librairie et se trouvait réduit aux expédients. C’était un homme de quarante-trois ans, de belle taille, aux yeux bruns et portant sur le visage quatre « signes particuliers « périlleusement signalétiques pour un ex-proscrit dont les démêlés avec la police ne sont pas terminés, — deux au côté gauche de la bouche, l’autre au dessus du nez près de l’œil gauche et un petit trou au milieu du menton.

Après quelques jours passés rue des Bons-Enfants, Fauche-Borel crut prudent de s’établir dans un quartier plus solitaire : il confia ce désir à Mme Masson, femme de son éditeur, et celle-ci lui trouva un logement discret rue Saint-Hyacinthe, non loin de la place Saint-Michel. Il transporta là ses papiers les plus importants et commença les démarches dont le cabinet britannique l’avait chargé : il vit Moreau, dans la coquette maison que celui-ci occupait à Chaillot, rue Saint-Pierre, lui parla, avec son abondance accoutumée, de Pichegru, du parti royaliste, de