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la Restauration prochaine de la Monarchie ; commis voyageur en corruption et « marchand de consciences, » il montra au général les prometteuses lettres patentes rédigées par Louis XVIII à l’adresse de Barras et qui n’avaient pas été utilisées ; il les sortait volontiers de sa poche, ainsi qu’une lettre autographe du Roi, qu’il portait sur lui en manière d’honorable référence. Moreau ne se laissa pas tenter : Fauche lui prête un long discours ; mais il paraît manifeste qu’il fut mis froidement à la porte, car il ne risqua pas une seconde visite. Il fut plus heureux chez un fervent royaliste qui n’était autre que cet abbé Leclerc, affligé d’un œil vairon, qu’on a vu, en janvier 1797, sauver au péril de sa vie, les dossiers et les croix de Saint-Louis de l’agence Brotier. L’abbé Leclerc vivait, caché sous le nom de Boisvalon, dans une maison de la rue du Pot de fer ; Fauche le trouva « très au courant de tout ce qui se passait en France » et très déterminé à reprendre, dès l’occasion, la vie d’aventures. Depuis près de quinze jours le libraire neuchâtelois courait ainsi les rues de Paris, menant de front son commerce et sa conspiration : le 7 juillet, comme il sortait de chez ses éditeurs, Bossange et Masson, et qu’il tournait l’angle de la rue de Tournon pour s’engager dans la rue du Petit-Lion, deux hommes surgirent derrière lui, le poussèrent dans un fiacre et le conduisirent à la Préfecture de police. Le soir même, il entrait à la prison du Temple, était écroué dans les formes et enfoui, sous des portes de fer, dans la Tour tragique, au grand secret.


III
PRISON D’ÉTAT

Sans prétendre que Fauche se réjouît d’être en prison, on discerne aisément qu’il acceptait avec philosophie ce désagrément. Son incarcération consacrait de façon éclatante l’importance des services par lui rendus à la cause royale, et il n’y a pas besoin de lire entre les lignes de ses abondants Mémoires, ou des lettres demeurées à son dossier, pour constater combien il était intimement flatté de compter au nombre des détenus de cette déjà légendaire Tour du Temple, réservée aux captifs de marque, où devaient plus ou moins séjourner les plus zélés