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champions de la Monarchie : la détention de la famille royale avait rendu cette prison fameuse et, depuis lors, si l’on excepte quelques noms d’obscurs anarchistes depuis longtemps disparus, le livre d’écrou ressemblait à un armoriai : pour combler de faveurs ses plus fermes soutiens, la Restauration prochaine n’aurait qu’à puiser en cette liste de fidèles persécutés.

Fauche prit donc sa captivité en patience : le premier mois, passé au secret, fut, certes, peu agréable ; dans l’étroit réduit où il gisait enfermé, il souffrait du manque d’air et d’exercice ; à part les gardiens chargés de lui apporter sa nourriture, il ne voyait personne de tout le jour et ne recevait d’autres visites que celles des chauves-souris dont la vieille tour foisonnait ; mais, ces jours d’épreuve terminés, dès qu’il fut admis au régime commun, il jugea la réclusion très supportable. C’est que le Temple alors ne ressemblait en rien à ce qu’on imagine d’une prison : le concierge en était le maître absolu, à la fois directeur, économe, geôlier-chef et administrateur ; pourvu qu’il représentât à toutes réquisitions les pensionnaires que lui envoyait le Grand-Juge ou la Préfecture de police, il faisait dans son domaine la loi à sa guise, décrétait le règlement qui lui était le plus commode et traitait en camarades les détenus selon son humeur ou ses sympathies. Or le concierge du Temple était, en 1802, le geôlier le plus jovial, le plus « arrangeant, » le moins vétilleux qu’on put souhaiter : il s’appelait Louis-François Fauconnier, était âgé de cinquante ans, et avait femme et cinq enfants. On ne peut dire comment il gagna ses grades et la place enviable qu’il occupait ; il assurait, dans un rapport, « avoir servi la Révolution de sa personne et de toute sa fortune ; » c’était un homme bien bâti, au nez busqué, aux cheveux bruns, au front dégarni ; bon vivant, assez instruit, s’exprimant bien, aimant à rire et facile à vivre, pourvu qu’on ne lui demandât rien qui l’exposât à perdre sa place. Il commandait au Temple depuis quatre ans et se flattait d’avoir apporté au régime des prisonniers certaines modifications appréciables : à sept heures du matin, ses guichetiers ouvraient les portes des cachots et les détenus étaient libres de se promener dans tout l’enclos jusqu’à dix ou onze heures du soir, suivant la saison. Il autorisait les visiteurs du dehors à pénétrer au Temple à toute heure du jour et de la soirée, à partager les repas des prisonniers, à monter dans leur chambre et à y