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originaire d’Alsace, nommé Scholl. Même l’attentionné concierge, plein de sollicitude pour le libraire, lui offre d’installer dans son logement un dépôt de livres que placera dans Paris le fils Fauconnier ; Fauche s’empresse d’adopter cette combinaison où il voit l’avantage de continuer ses affaires et surtout d’y intéresser le concierge. Avec la belle assurance dont il est coutumier, il trouve en cette association une telle garantie de sécurité que le voilà du Temple même, complotant de nouveau et poursuivant la mission dont l’a chargé le cabinet britannique : il écrit à Moreau qui, d’ailleurs, s’obstine à ne pas répondre ; il envoie son neveu Edouard Vitel chez le général, au château de Grosbois et chez l’abbé Pichegru, frère du proscrit de Fructidor ; il correspond même avec l’Angleterre par l’entremise de son co-détenu, lord Camelfort, et jamais, sans doute, prisonnier d’Etat n’aura, du fond de son cachot, conspiré aussi audacieusement contre l’autorité qui le tient captif.

Tout cela, du reste, parait assez louche : la police n’ignorait pas la téméraire et ténébreuse besogne à laquelle le libraire neuchâtelois employait les loisirs de sa détention ; elle savait, sans qu’il s’en doutât, le but de son voyage en France, et cette réconciliation de Pichegru avec Moreau qu’il avait entreprise n’était pas pour gêner le Premier Consul. Bonaparte, en effet, soucieux d’évincer ces deux illustres rivaux, les voyait sans déplaisir ruiner leur popularité par des compromissions avec ce Fauche-Dorel, agent soudoyé de l’Angleterre : et, peut-être, tandis que le détenu s’applaudissait de son astuce, servait-il inconsciemment les plans de celui qu’il voulait combattre. Fauriel, bien renseigné, quoiqu’il n’appartint plus à la police au moment où Fauche jouait ce rôle étrange d’agent provocateur sans le savoir, Fauriel, à coup sûr perspicace, semble avoir pénétré la complication de cette obscure intrigue : — En poursuivant Moreau de ses propositions, « Fauche-Borel, écrit-il, ne pouvait agir que par l’influence même de l’autorité qui le retenait dans les fers ; » et une note ajoutée à son manuscrit complète le diagnostic : — « Je crois qu’il était de bonne foi. » C’est bien ça : toute sa vie Fauche, si infatué de ses talents diplomatiques, sera, « de bonne foi, » le jouet et la dupe de ses adversaires ; et, si l’on croit devoir s’étendre sur son séjour au Temple, c’est parce que la police consulaire le gardait là — en observation, pourrait-on dire, — étudiant ce phénomène de