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vanité et de maladresse, en prévision du profit qu’elle tirerait lot ou tard de tant de présomption, d’incompétence et de crédulité.


Il arriva que, après dix-huit mois de supportable captivité, pressentant que les événements politiques allaient se précipiter et que, si l’on n’y mettait obstacle, Bonaparte usurperait le trône de France, Fauche-Borel jugea qu’il était le seul homme capable de contrarier un si audacieux projet ; il lui fallait au plus tôt gagner l’Angleterre, afin d’éclaircir les monarchies européennes et de leur dicter un plan de conduite. Il résolut donc de s’évader du Temple, et il faut reconnaître qu’il manigança ingénieusement cette difficile entreprise. Edouard Vitel qui, comme on l’a dit, venait au Temple deux fois par jour, et était en conséquence parfaitement connu des guichetiers, commanda à un modeleur un masque en cire fait à sa ressemblance ; de son côté, Fauche manifesta le désir de célébrer par une solide bombance le 1er janvier de l’année 1804, et il convia à cette agape, outre quelques-uns de ses co-détenus et deux ou trois amis du dehors, le concierge Fauconnier qu’il avait souvent invité à sa table et qui s’en était bien trouvé. Fauche l’allécha par la perspective d’une ripaille monstre, avec vins des bons crus, Champagne à discrétion et liqueurs de choix.

Au jour dit, dès le matin, il tira de sa réserve particulière de vénérables bouteilles et les distribua, en manière d’étrennes, aux guichetiers et aux porte-clefs. Il eut soin de les abreuver durant toute la journée, afin de les entretenir en de favorables dispositions. Le soir, les invités se présentèrent, entre autres Edouard Vitel, portant sous son ample manteau le masque de cire et, sous prétexte d’une rage de dents, tenant sur sa joue un bandeau qui lui cachait la moitié du visage. Les guichetiers compatirent à la malchance du jeune homme et l’introduisirent dans la pièce où le couvert était dressé : c’était une petite salle située au premier étage du bâtiment du greffe.

On se mit à table : on mangea et l’on but fort, sauf le malheureux Vitel que la douleur empêcha de prendre sa part de la gaité générale. Vers neuf heures, au moment du café, l’amphitryon se leva, afin d’aller jusqu’à sa chambre et d’en rapporter une bouteille de crème des Barbades dont Fauconnier était particulièrement friand. En traversant l’antichambre, le libraire jeta sur son dos le manteau d’Edouard Vitel, plaqua sur son