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se charge de l’expédier à toute la société parisienne, à tous les gens en place, à tous les libraires qu’il connaît en France, à nombre de particuliers qu’il sait disposés à le propager et même à son ami Fauconnier, le concierge du Temple. Quand, avisé par des peureux, tremblants de recevoir, sans savoir d’où, cet imprimé compromettant, Desmarest eut fait saisir à la poste une bonne partie des envois ; quand il eut constaté que toutes les adresses étaient de la main de Fauche-Borel et que celui-ci s’activait à répandre le manifeste dénoncé par lui comme séditieux, il ne lui fallut pas longtemps pour lire dans le double jeu de ce fourbe ingrat : un rapport fut adressé à l’Empereur et l’ordre fut expédié à Berlin de mettre ce mystificateur en arrestation. Le roi de Prusse y consentit volontiers, car, s’apprêtant à combattre Napoléon, il s’ingéniait à faire figure du plus docile de ses alliés ; il joua même l’indignation en apprenant la scélérate impertinence du libraire... auquel il conseilla secrètement de se mettre à l’abri des poursuites de ses gendarmes. Fauche l’assure dans ses Mémoires, et ce doit être vrai, car cette duplicité porte bien la marque prussienne. Profitant sans tarder de cet amical avis, Fauche s’embarqua pour l’Angleterre. Il croyait échapper ainsi à la vengeance de Desmarest : mais déjà celui-ci, d’esprit inventif et plein de ressources, mûrissait sa revanche en policier de génie. — « Il est très probable, écrivait-il à l’Empereur, que le trompeur sera un jour pris au piège qu’il a tendu. »


G. LENOTRE.