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Fouché, pour ne point s’attirer de ce côté-là des désagréments, mais de poursuivre en même temps sa carrière d’agent des Bourbons, si malencontreusement interrompue, alors qu’elle s’annonçait brillante et productive. Il ne traverse pas une capitale sans se croire obligé de rendre ses devoirs au souverain du pays : c’est ainsi que, à Brunswick, il se présente à Son Altesse sérénissime le duc régnant ; à Potsdam, il obtient une audience du roi de Prusse Frédéric-Guillaume et de la reine Louise, dont les paroles bienveillantes « resteront burinées dans son cœur. » Il va voir à Berlin M. Jackson, ministre d’Angleterre, M. le comte de Nowosiltzoff, ambassadeur de Russie, auquel il remet trois notes « importantes » destinées à S. M. le Tsar. Partout il raconte sa captivité au Temple ; on l’écoute « avec attendrissement. » Il s’occupe ensuite à « réveiller en Prusse l’esprit militaire » dont le sommeil, sous cette latitude, n’est jamais bien profond, et il publie, dans ce dessein, à ses frais, une brochure de d’Antraigues : car il sait rendre ses démarches lucratives : il faut le croire, puisque, dès le début de son séjour à Berlin, il dispose déjà de sommes assez importantes. Si grand est son désir de paraître bien renseigné qu’il lui advient de transmettre à Londres, par la voie d’un courrier de cabinet, l’heureuse nouvelle de la sanglante défaite subie par Napoléon... à Austerlitz ! Le bruit d’une victoire des Russes s’était, en effet, propagé à Berlin, et Fauche se pressait un peu trop de l’authentiquer conformément à ses vœux.

Entre temps, pour endormir les méfiances de l’ambassadeur de France sous la surveillance duquel il est placé, il envoie, par l’entremise de cette Excellence, des rapports à Desmarest, — rapports insignifiants, il est vrai, mais qu’il promet de compléter prochainement. De fait, il adressa bientôt, et par deux voies différentes, à la police de Paris un document de première importance : c’était la copie, faite, insistait-il, » sur l’original qui lui avait été communiqué, » d’une déclaration indignée et I émouvante de Louis XVIII protestant solennellement contre l’occupation de son trône par le général Bonaparte. Fauche rendait un véritable service aux acolytes de Fouché en leur signalant cette pièce à sensation dont l’introduction clandestine en France aurait pu raviver des souvenirs redoutés. Mais, tandis qu’il dénonce hypocritement à Desmarest cet écrit subversif, Fauche l’imprime à Berlin, le tire à dix mille exemplaires et