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profile si étrangement sur les futaies du parc impérial, comme une survivance ou une évocation du passé moscovite. La tsarine y assistait avec ses trois filles aînées ; Grigory se tenait derrière elle. accompagné de Mme Wyroubow et de Mme Tourowitch. Quand Alexandra-Féodorowna s’est approchée de l’iconostase pour recevoir le Pain eucharistique et le Précieux Sang, elle a fait signe du regard au staretz qui, l’ayant suivie, a communié aussitôt après elle. Puis, devant l’autel, ils ont échangé le baiser de paix, que Raspoutine a déposé sur le front de l’Impératrice et qu’elle lui a rendu sur la main.

Pendant les jours qui ont précédé, le staretz a passé de longues heures en prière à Notre-Dame de Kazan, où il s’est confessé, le mercredi soir, au Père Nicolas. Ses ferventes amies, Mlle G... et Mme T..., qui ne l’ont presque pas quitté, ont été frappées de sa tristesse. Plusieurs fois, il leur a parlé de sa mort prochaine. Il a dit notamment à Mme T... : « Sais-tu que je mourrai bientôt dans des souffrances atroces ?... Mais que faire ? Dieu m’a imposé la mission sublime d’être immolé pour le salut de nos chers souverains et de la sainte Russie. Malgré mes péchés, qui sont épouvantables, je suis un Christ en miniature, malenkii Kristos... » Une autre fois, passant avec ses deux amies devant la Forteresse des Saints-Pierre-et-Paul, il a formulé cette prophétie : « Je vois là beaucoup de personnes torturées ; je ne dis pas des personnes par unités, mais en foule ; je vois des entassements, des nuées de cadavres, toutchy troupow, plusieurs grands-ducs et des centaines de comtes, neskolko velikikh kniaseï i sotni grafiew... La Néwa sera toute rouge de sang. »

Raspoutine est parti dans la soirée du vendredi saint pour son village de Pokrowskoïé, près de Tobolsk, où Mme T... et Mlle G... sont allées le rejoindre...



Jeudi, 27 avril.


Visite à Mme D... qui se dispose à partir pour ses terres, dans Le Tchernoziom, au Sud de Voronèje.

Sérieuse et active, elle s’intéresse beaucoup à la vie des paysans ; elle s’occupe, avec intelligence, de leur bien-être, de leur instruction, de leur moralité. Je la questionne sur leurs sentiments religieux. Elle me décrit leur piété comme très simple et très naïve, quoique profonde, rêveuse, toute imprégnée