Du côté italien, à l’Est du Trentin, les combats continuent ; mais l’avance autrichienne est arrêtée.
Vendredi, 9 juin.
Depuis les temps lointains de la Moscovie, les Russes n’ont peut-être jamais été aussi Russes que maintenant.
Avant la guerre, leur vagabondage natif les poussait périodiquement vers l’Occident. Les mondains essaimaient, une ou deux fois l’an, à Paris, à Londres, à Biarritz, à Cannes, à Rome, à Venise, à Bade, à Gastein, à Carlsbad, à Saint-Moritz. Les moins fortunés, la foule des « intellectuels, » avocats, professeurs, savants, médecins, artistes, ingénieurs, etc., allaient faire des stages d’études, des cures balnéaires, des voyages de vacances en Allemagne, en Suède, en Norvège, en Suisse. Bref, la majeure partie de la société brillante ou pensante, laborieuse ou oisive, prenait un contact régulier, souvent même prolongé, avec la civilisation européenne. Des milliers et des milliers de Russes allaient ainsi s’approvisionner de robes et de cravates, de bijoux et de parfums, de meubles et d’automobiles, de livres et d’objets d’art. Inconsciemment, ils rapportaient aussi des idées plus modernes, un esprit plus pratique, une conception plus positive, plus ordonnée, plus rationnelle de la vie générale. Ils y étaient d’ailleurs prédisposés par la faculté d’assimilation que les Slaves possèdent à un degré si éminent et que le grand « occidentaliste » Herzen appelait « l’acceptivité morale. »
Mais, depuis vingt-deux mois, la guerre a élevé entre la Russie et l’Europe une barrière infranchissable, une muraille de Chine. Depuis près de deux ans, les Russes sont confinés dans leur pays, astreints à vivre sur eux-mêmes. La médication tonifiante et régulatrice qu’ils allaient chercher en Occident leur manque et à l’instant où elle leur est le plus nécessaire. C’est un fait d’observation courante que les névropathes à tendance dépressive ont besoin de distraction et que le voyage leur convient spécialement parce qu’il stimule leur activité, soutient leur attention, ranime leur conscience.
Je ne m’étonne donc pas de noter sans cesse autour de moi, chez des personnes qui, naguère encore, me semblaient parfaitement saines, de la fatigue, de la mélancolie, du nervosisme, du