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a ordonné de précipiter l’offensive qui se préparait en Volhynie et Galicie. L’opération, engagée avec vigueur par le général Broussilow, s’annonce bien.



Mardi, 6 juin.

Je parle des moujiks avec la princesse Sch... qui préside une société de propagande pour le travail, de Koustarni vechtchy, ces ouvrages et ustensiles de bois, de cuir, de corne, de fer, d’étoffe, où se révèlent le sens artistique des paysans russes, leur goût si original et si ingénieux de l’ornementation.

Elle est ainsi amenée à déplorer les changements profonds que l’extension des grandes industries mécaniques opère depuis une quinzaine d’années dans l’esprit et la moralité des classes rurales :

— Ces raffineries de sucre, ces distilleries d’alcool, ces filatures, ces forges, ces fabriques, ces innombrables usines, qu’on voit maintenant s’élever partout au milieu des terres, ont répandu parmi nos moujiks, des habitudes, des besoins, des idées, auxquels leur passé ne les préparait aucunement. L’initiation a été trop brusque pour leurs cerveaux primitifs... Le gain et l’appât des gros salaires industriels ont démoralisé des régions entières. Songez que, en dehors des villes, la monnaie était rare jusqu’à ces dernières années. Dans beaucoup de villages, les transactions se faisaient couramment par des trocs : on échangeait de l’avoine contre une touloupe ou de la vodka ; on payait un cheval ou une charrue avec des journées de travail... Aujourd’hui, tout cela est changé. La plupart de nos paysans ont perdu leurs qualités simples et naïves, mais en restant trop arriérés pour s’adapter moralement à leur vie nouvelle. Ils sont désorientés, ahuris, détraqués... Si Dieu ne nous épargne pas la révolution après la guerre, il y aura de grands malheurs dans les campagnes.



Jeudi, 8 juin.

L’offensive du général Broussilow se poursuit brillamment ; elle prend même une allure de victoire.

En quelques jours, le front austro-allemand a été enfoncé sur une étendue de 150 kilomètres. Les Russes ont capturé 40 000 hommes, 80 canons et 150 mitrailleuses.