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VIII
Périolas à Balzac.


Saint-Cyr, le 12 juillet (1832).

Mon cher Honoré,

J’ai fait à pied, à pied, dis-je, le voyage du Palais-Royal [1] à la rue Cassini, et jugez de mon désappointement lorsqu’on arrivant chez vous, haletant, j’ai su que vous n’étiez pas de retour [2] ; le gracieux accueil de madame votre mère [3] n’a pu vaincre ma préoccupation, ni même comprimer le sentiment de dépit qui absorbait toutes mes facultés ; aussi ai-je dû lui paraître au moins fort singulier. Vous m’aviez pourtant bien assuré que vous seriez dans les régions de l’Observatoire vers les premiers jours de juillet. Mais j’oubliais que vous êtes poète, ou conteur par inclination et par état : cette réflexion, qui me vient un peu tard, est votre meilleure excuse. J’allais chez vous d’abord pour vous voir, ensuite pour vous faire part de mon changement de grade et de destination [4], circonstance qui m’oblige à rétablir à la bibliothèque de l’École l’Atlas et le Guide du pontonnier que je vous ai prêtés. Je vous prie donc de me renvoyer le plus prochainement que vous pourrez ces deux ouvrages [5]. Il est cependant possible que je

  1. C’était auprès du Palais-Royal que débarquaient des voitures les voyageurs de Saint-Cyr et de Versailles. Les Gondoles parisiennes, de vingt minutes en vingt minutes, les Espérances d’heure en heure les Accélérées de demi-heure en demi-heure faisaient le trajet de la Place d’Armes de Versailles à la rue de Rivoli, de six heures et demie du matin à neuf heures du soir.
  2. Au lieu de rentrer à Paris, Balzac était parti pour Angoulême où l’appelaient ses amis Carraud.
  3. Pendant l’absence de son fils, Mme de Balzac mère était installée rue Cassini, recevant le courrier, les épreuves, soignant le ménage, faisant les courses, soldant les créanciers, avec un dévouement que Balzac n’oublia jamais.
  4. Nommé le 2 juillet 1832 chef d’escadron au 2e régiment d’artillerie à Metz.
  5. Balzac, qui les avait emportés en voyage, les expédia à sa mère, le 22 août 1832, en quittant Angoulême. Mme de Balzac mère les fit remettre à Saint-Cyr, de la part de Périolas, le 20 septembre, au bibliothécaire Alexis de Villemejane. Ils sont toujours à la bibliothèque de l’École et nous avons pu, en mars 1914, feuilleter le Guide du pontonnier, par A. -F. Drieu, Paris, 1820, in-8, qui fut prêté à Balzac. La simple lecture du sous-titre de l’ouvrage : Mémoire sur les ponts militaires, contenant les passages de rivières les plus remarquables permet, à elle seule, de supposer quel parti Balzac eût tiré de ce Guide pour le chapitre de l’île Lobau dans sa Bataille.