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On pouvait s’en douter à sa façon de malmener les maîtres de la pensée moderne : quel carnage d’idoles dans son Crépuscule des philosophes ! Un autre trait significatif, c’était le sens très vif de sa petite patrie. Après un immense circuit, qui lui avait fait faire le tour de toutes les idées, le jeune amoraliste, aux environs de la trentaine, en était arrivé à reconnaître une vérité : le fait d’appartenir à un petit groupe humain, et particulièrement à la famille toscane. Le paysage toscan a fait son éducation. C’est de cette nature un peu sèche, un peu nue, de cette terre pudique, sans luxe, où l’on sent l’os, c’est de ce paysage maigre, aigu, aux arêtes vives, que M. Papini tient le style, ce dire « brillant et affilé, » à faire honte aux « parfumeurs « de toutes les littératures. Mais ce ne sont pas seulement des leçons de goût que M. Papini retrouvait dans sa tradition. Beaucoup d’autres trésors latents, toute une vieille expérience religieuse, un tissu de disciplines antiques, se révélaient à lui en même temps que l’amour du pur parler natal.

Tout cela était déjà visible dès 1912, dans cette confession de la trentième année, dans ce roman d’autobiographie mentale, intitulé Un homme fini, qui demeure le maître-livre de M. Papini. L’auteur de ce guide de l’athée est encore bien loin de la foi. Mais, à travers toutes les étapes parcourues par cet esprit inquiet, il y a des caractères qu’on retrouve encore aujourd’hui dans le nouveau converti et dans l’auteur de la Vie du Christ. Il y a d’abord chez cet analyste et chez ce destructeur, chez ce maniaque intellectuel et ce don Juan cérébral, qui dévore les systèmes les uns après les autres, une soif tragique de certitude, une âme « altérée comme le désert. » Il y a un sentiment profond de la misère humaine et de l’ « indestructible malheur « de notre espèce ; il y a le dégoût de la vie, et en même temps désir ardent de « faire quelque chose pour les hommes, » et ce qu’un chrétien appellerait l’angoisse du salut. Il y a jusqu’à des formules, jusqu’à des programmes caractéristiques qui seront encore textuellement ceux de l’écrivain devenu apôtre : l’humanité est actuellement quelque chose de mixte, d’indécis, d’intermédiaire entre Caliban et Ariel, entre la bête et l’homme. Il s’agit de commencer une nouvelle époque, d’entamer « un dernier volume de l’histoire du monde, » d’achever la transformation de cet être hybride et absurde. Il s’agit de l’arracher bon gré mal gré à la matière, d’en faire une créature « plus pure, plus parfaite, plus angélique, plus divine. » Et cette révolution ne peut être qu’intérieure : « Renouveler les âmes, c’est renouveler le monde. » Et