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l’auteur effrayé de la tâche, accablé quelquefois de sa propre misère, écrivait cette plainte admirable : « O mon idéal, mon indescriptible idéal, suis-je tel que sans rougir je puisse m’approcher de la mort ? « 

Quelle fut la raison fortuite, l’occasion ou l’accident qui a conduit M. Papini, après tant d’autres, au pied de la croix ? Je l’ignore, et il est indifférent de le savoir. Tout le chemin était fait ; il ne restait plus qu’à se mettre à genoux. M. Papini est bien encore, dans la Vie du Christ, le même que nous avions connu dans Un homme fini. Il y a des convertis qui renient leur passé, qui en répudient toutes les idées, qui ne se croient jamais assez délivrés, dépouillés du vieil homme ; il y en a d’autres qui l’incorporent à leur conversion, et qui font de leur foi nouvelle une suite logique de leur système. M. Papini appartient à une troisième espèce. Il s’est jeté dans le catholicisme avec toute la fougue de son tempérament. Il est toujours le révolté « qui n’accepte pas le monde, » l’intrépide, le violent, l’homme d’opposition, le chercheur d’absolu, l’incorrigible misanthrope « sentimental et injurieux, » dont l’amour prend naturellement la forme de la colère, et qui, devenu chrétien, pour éveiller ses frères, leur assène avec roideur les « coups de la vérité. »

On s’explique qu’une Vie du Christ écrite dans cet esprit devait exciter un vif mouvement de curiosité. Chaque siècle, nous dit l’auteur, refait son Évangile ; il lui faut une version neuve de l’éternelle « Bonne nouvelle. » Chaque époque a le droit de s’assimiler le Christ, et de s’en composer une image appropriée à ses besoins.

Il va sans dire que le Christ de M. Papini ne ressemble guère au Christ des manuels de piété, ni à celui de l’exégèse et de la critique allemande. La littérature de sacristie passe, dans sa préface, un aussi mauvais quart d’heure que la morgue officielle des universitaires. L’auteur fait de l’une et de l’autre la critique la plus piquante : au fond, il leur reproche à toutes les deux d’être illisibles. Le style fade et sirupeux des écrivains dévots, comme le style abstrait et métaphysique de la « science, » sont également insupportables. La première qualité d’un livre, c’est de se faire lire, et par conséquent, d’être écrit : l’immense supériorité de la Vie de Jésus de Renan, ce ne sont pas ses théories, c’est d’être une œuvre littéraire. L’artiste ne perd pas ses droits chez M. Papini, et l’apôtre s’en trouve bien. Tout le monde ne va pas à l’église, mais on s’arrête volontiers à l’étalage du libraire. C’est pour ceux-là que l’auteur écrit, et il peut se flatter d’avoir atteint son but.