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sinon l’ampleur de son emploi tactique — dans l’offensive chimique déclenchée par les Allemands en avril 1915.

On a écrit beaucoup de choses fort indignées, fort sentimentales et fort puériles sur l’emploi de l’arme chimique. On en avait dit, sinon écrit, autant et de pareilles, — l’écriture étant alors moins répandue, — lorsque l’arme à feu se substitua à l’arme blanche. On compara alors la traîtrise et la perfide lâcheté du projectile qui meurtrit, sans danger pour le bras qui de loin l’a déclenché, à la loyauté chevaleresque de l’arme blanche dont le pouvoir vulnérant n’est jamais très éloigné de la main responsable. On peut disserter à l’infini sur tout cela. Du moment que le sentiment se mêle de hiérarchiser les diverses manières de mettre à mal son prochain, il n’y a pas de bornes ou de conclusions possibles à la discussion.

Notre avis sincère, — et nous savons qu’il est partagé par beaucoup d’éminents chimistes et physiologistes français, — est que en soi (et abstraction faite des conventions qui sont censées lier les parties) l’arme chimique sous ses différentes formes n’est pas plus inhumaine que les autres armes. Il y a même actuellement en Angleterre et en Amérique, — et à sa tête l’éminent brigadier général Frics, — toute une école qui affirme que l’arme chimique est en moyenne réellement plus humaine que les armes balistiques habituelles, parce que le pourcentage des accidents mortels et des mutilations définitives produits est moins élevé avec la première qu’avec les secondes.

Si les Allemands ont mérité l’indignation lorsqu’ils ont entrepris la guerre chimique, c’est, à notre humble avis, uniquement parce que, ce faisant, ils ont violé les conventions signées par eux. Un point c’est tout. Ils les avaient pareillement violées en bombardant par avions dès le début de la guerre des villes ouvertes.

Ces choses ont besoin d’être dites, car une sentimentalité absurde, enfantine, — nous venons de le dire, injustifiée, nous a dès le début du conflit empêché d’utiliser des armes précieuses que certains de nos chimistes, à nous, avaient aussitôt proposées. C’est jouer un rôle de dupes, et servir maladroitement le pays et les soldats qu’on doit protéger que de se tenir pour lié par des conventions que l’adversaire a violées délibérément. Si on avait pensé autrement, si un humanitarisme sans autre fondement que des préjugés, — et qui ne protégeait que les ennemis au détriment des Français, — ne s’était pas interposé c’est l’armée française sans doute qui aurait eu l’initiative de la guerre des gaz, et des centaines de milliers de vies françaises, peut-être, eussent été épargnées.