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avait été faite conjointement, en 1919, par l’Amérique et par la Grande-Bretagne, pour le cas d’une agression non provoquée, n’allait pas sans de graves inconvénients. Il n’en résultait pour nous aucune assurance, ni sur l’étendue, ni sur la rapidité de la coopération promise ; et comme, d’autre part, nous ne prenions nous-mêmes aucun engagement vis-à-vis de l’Angleterre, cette garantie sans réciprocité nous laissait la physionomie d’une nation protégée et semblait, par suite, autoriser la nation garante à exercer sur nos actes une surveillance indiscrète. Dans tout contrat nouveau, il conviendra d’éviter des clauses qui pourraient justifier les mêmes objections. Assurément, l’alliance, positive et officielle, de l’Angleterre nous serait très précieuse ; elle nous donnerait, sur le continent, beaucoup de la sécurité qui nous manque : elle nous aiderait, par suite, à alléger nos charges militaires ; elle nous permettrait de nous consacrer plus tranquillement aux travaux de la paix. Mais, pour que nous soyons tout à fait rassurés, il faudra que l’armée anglaise, ajoutée à la nôtre et à celle de la Belgique, soit en mesure de repousser, et même de prévenir, une agression allemande. Pourrions-nous désarmer, si l’Angleterre désarme et si l’Allemagne ne désarme pas ?

S’il était vrai, du reste, qu’en retour de cette alliance, nous dussions nous engager à ne pas prolonger notre occupation des territoires rhénans, ou même à l’abréger, et si l’Angleterre ne s’obligeait pas formellement à assurer avec nous, au besoin par la prise de nouveaux gages, la scrupuleuse application du Traité, l’alliance ne serait plus qu’un trompe-l’œil. Si enfin elle se concluait, sans que l’accord se fût nettement établi, entre l’Angleterre et nous, sur l’attitude à observer devant la conférence financière et sur le règlement ultérieur de la dette allemande, elle aurait le grave inconvénient de nous lier les mains par avance, elle nous enchaînerait, résignés et impuissants, à la politique anglaise, et la France n’aurait plus, tôt ou tard, qu’à prendre le deuil de sa souveraineté. Espérons que les conventions préparées écarteront ces sombres présages, que l’alliance n’affaiblira aucune des deux nations au profit de l’autre, et qu’elle ravivera le Traité de Versailles, au lieu de l’ensevelir.


RAYMOND POINCARE.


Le Directeur-Gérant :

RENÉ DOUMIC.