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ESQUISSES CONTEMPORAINES

M. MAURICE BARRÈS

I
SOUS LES BANNIÈRES ROMANTIQUES

« Au fond, le travail de mes idées se ramène à avoir reconnu que le moi individuel était tout supporté et alimenté par la société. Idée banale, capable cependant de féconder l’œuvre d’un grand artiste et d’un homme d’action. » (Scènes et Doctrines du Nationalisme, p. 16.)


Au mois de janvier 1883, débarquait à la gare de l’Est un grand garçon de vingt ans, sec et maigre, au teint jaune et terreux, aux longues mèches noires rebelles, au masque anguleux et tourmenté qui n’était pas sans rappeler celui de Condé ou de Pascal. Il arrivait en droite ligne de sa Lorraine natale, dont il devait conserver toujours l’accent appuyé et un peu âpre. Comme tant d’autres avant lui, il se déracinait pour venir conquérir Paris. Il avait déjà beaucoup lu, beaucoup rêvé, et noirci un peu de papier. Son état d’âme ne devait guère différer, j’imagine, de celui de cet autre rêveur qui, un siècle auparavant, débarquait du coche de Bretagne en compagnie de la pimpante Mme Rose, et qui n’était alors que le « chevalier » de Chateaubriand. Il était dévoré d’ambition, de toutes les ambitions, — celle du grand artiste comme celle de l’homme