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d’action. Orgueilleux et timide, cachant ses timidités et ses juvéniles candeurs provinciales sous les espèces, parfois bien distantes, d’une prodigieuse faculté de dédain, à la fois ardent et inquiet, intelligent surtout, d’une intelligence prompte, complexe, subtile, aiguë, il brûle « de s’associer à cette vie immense, étendue devant lui. » « Toutes les énergies assemblées de sa jeunesse aspiraient l’air, frappaient le sol de leur pied et hennissaient comme un régiment de hussards qui attend le signal de la charge[1]. »


I

Si plastique qu’elle soit encore, une âme de vingt ans a déjà toute une longue histoire. D’abord, elle résume ou reflète en elle bien des âmes antérieures. Nos gestes les plus originaux sont souvent à peine nôtres et ne font guère que reproduire ceux de nos ancêtres lointains. Il ne nous est pas indifférent de savoir que, du côté paternel, M. Barrès est un compatriote de ce Pascal dont il a si bien parlé : son lyrisme lui vient peut-être de ces consuls, receveurs qu’on trouve installés à Saint-Flour dès le XVe siècle, et dont l’un se fixa à Blesle, en Haute-Loire, vers 1530. C’est de cette branche qu’est sorti l’auteur de Colette Baudoche. De père en fils, les Barrès de Blesle étaient notaires royaux. Survint la Révolution. En 1804, un de ces Barrès s’engage à vingt ans dans les vélites aux chasseurs de la garde consulaire : il fit toutes les guerres de l’Empire, devint officier supérieur, et laissa aux siens un curieux « itinéraire » manuscrit de ses campagnes. Entre temps, il s’était marié, à Charmes-sur-Moselle, avec une jeune fille du pays, et c’est là qu’il vint prendre sa retraite. Son fils unique, Auguste Barrès, ancien et brillant élève de l’École Centrale, vint aussi s’établir à Charmes. De son mariage avec une Lorraine de très vieille souche allait naître, à Charmes, le 22 septembre 1862, l’écrivain qui devait si poétiquement chanter « la colline inspirée[2]. »

  1. Les Déracinés, édition originale, Fasquelle, p. 63. — Les ouvrages de M. Maurice Barrès ayant paru, généralement avec des retouches et des variantes, chez plusieurs éditeurs successifs, on citera ici, sauf exceptions très rares et intentionnelles, les éditions originales qui nous permettent de saisir tout près de leur source originelle la pensée et la forme de l’écrivain.
  2. René Gillouin, Maurice Barrès (les Célébrités d’aujourd’hui), Paris, Sansot, 1907 (avec une excellente bibliographie) : — René Jacquet, Notre maître Maurice Barrès, Paris, Per Lamm, 1900. — Cf. Maurice Barrès, Scènes et Doctrines du Nationalisme, édition originale, Juven, pp. 414-427 : et Jérôme et Jean Tharaud, la Lorraine racontée par M. Maurice Barrès (Lectures pour tous, décembre 1910). — Sur l’ensemble de l’œuvre de M. Barrès, on pourra consulter encore le livre récent, un peu confus et tumultueux peut-être, de M. Albert Thibaudet, la Vie de Maurice Barrès (Paris, Éditions de la Nouvelle Revue française, in-8, 1921), et, surtout, les pages si fines, si bien informées, si subtilement pénétrantes, que M. Henri Bremond a publiées ici même, dans la Revue du 15 février 1908, et qui servent aujourd’hui d’introduction à Vingt-cinq années de vie littéraire, Pages choisies de Maurice Barrès (1 vol. in-16, Paris, Bloud, 1908).