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il me donne le vertige et la terreur, comme le désert libyque, un matin que j’allais à cheval, seul, vers les tombes de Sakkarah.

Mes paupières ne me défendent plus ; plus rien ne me protège. La terrible ardeur est sous mon front, inévitable.

Le jaune devient vermeil, la plaine est en travail. Tout se fait épineux et coupant. Puis, de même qu’une main créatrice pétrit les figures dans la glaise docile, un souffle mystérieux soulève l’étendue éblouissante en des reliefs et des formes d’hommes et de bêtes.

A présent, le feu, solide, est traité comme la pierre par le ciseau.

J’ai devant moi une paroi rigide de rocher brûlant, sculptée d’hommes et de monstres. De temps en temps, elle claque comme une voile immense et les apparitions s’agitent. Puis tout s’enfuit, emporté par le tourbillon rouge, comme un pêle-mêle de tentes dans le désert.

Le bord de ma rétine arrachée brûle en se recroquevillant comme le papyrus de Dante ; et le brun efface peu à peu les mots qui là sont écrits. Je lis : « Pourquoi, deux fois, m’as-tu trompé ? « 

Une sueur salée coule jusque dans ma bouche, mêlée aux larmes des cils comprimés.

J’ai soif. Je demande une gorgée d’eau.

L’infirmière me la refuse, car il m’est défendu de boire.

« Tu te désaltèreras dans ta sueur et dans tes pleurs. »

Le drap adhère à mon corps comme celui qui enveloppe le noyé dégouttant de sel, tiré sur le rivage et déposé sur le sable jusqu’au moment où quelqu’un viendra le reconnaître, clore ses paupières écumeuses et hurler sur son silence.


Quand la Sirenetta, de son pas attentif, s’approche de mon chevet et m’apporte la première liasse de bandes égales, je détache doucement mes mains qui depuis si longtemps adhéraient à mes hanches. Je sens qu’elles sont devenues plus sensibles, avec, dans leurs dernières phalanges, quelque chose d’insolite, qui ressemble à un afflux de clarté.

Tout de suite mes mains trouvent les gestes, avec cet infaillible instinct qui est dans les membranes des chauves-souris, quand elles effleurent les aspérités des cavernes ténébreuses.

Je prends une bande, je la palpe, je la mesure. Je reconnais la qualité du papier à son léger bruit.

Ce n’est pas l’habituel papier que me fabriquaient à la main,